« Le XVIIIe siècle à portée de vues » : c’est la promesse du nouvel accrochage annuel de la collection d’arts graphiques du musée Paul-Dupuy avec cette sélection de gravures (choisies parmi les 200 conservées dans ses collections et dans celle d’un collectionneur privé toulousain), qui enchantera petits et grands.
Des vues qu’on observe en se plongeant dans l’œil d’un curieux appareil nommé zograscope…rien que le nom est une invitation au mystère !
Quelques explications techniques avant de commencer notre visite : le zograscope (du grec zôo, « vie », et –graphos, « qui décrit »), appareil pour lire les vues d’optique, est composé d’une lentille biconvexe montée sur un support coulissant et d’un miroir fixé à 45° à l’arrière. On le plaçait sur une table, devant la feuille placée à l’envers, que l’on observait à travers la lentille : l’image était alors redressée et apparaissait en relief, magnifiée par le miroir.
Ces vues d’optiques étaient des estampes (généralement à l’eau-forte) colorées au pochoir en atelier spécialisé (par des femmes ou des enfants, comme très souvent dans les ateliers de gravures, malgré le danger des produits manipulés…). Elles représentaient un sujet à la perspective très accentuée, avec un premier plan et un point de fuite central : vues d’architecture, de villes, etc.
Elles pouvaient être vues uniquement à travers le zograscope et la boîte d’optique, et si on ne peut pas les qualifier forcément de « belles » gravures en tant que telles, elles représentent néanmoins un intérêt certain de par leur utilisation avec ces deux instruments.
Similaire au zograscope, la boîte d’optique se présentait sous la forme différente d’une caisse en bois, percées d’une ou plusieurs lentilles.
Soit l’on plaçait la feuille à l’horizontale comme pour le zograscope pour en observer le relief grâce à un miroir (vision catoptrique), soit on la mettait à la verticale (vision dioptrique) afin d’obtenir des effets spéciaux: la gravure disposait alors de perforations au verso et d’une doublure de feuille colorée, donnant par un éclairage à la bougie par devant et par derrière l’illusion du jour et de la nuit se succédant.
On peut admirer ces effets spéciaux diurnes et nocturnes grâce à un diaporama projeté dans l’entrée de l’exposition, avant d’aller à la rencontre de la première salle, fort à propos intitulée « Que le spectacle commence ! ».
Gravures et figurines de porcelaine accompagnent un zograscope et une boîte d’optique, illustrant leurs usages avec des scènes d’intérieur ou populaires.
D’abord utilisé comme objet scientifique pour l’enseignement des lois de l’optique aux étudiants, le zograscope fut rapidement adopté par les classes sociales aisées du XVIIIe siècle. La diffusion des avancées techniques et l’esprit de curiosité du siècle des Lumières le transformèrent en objet de spectacle : tous les salons ou cabinets de curiosités se devaient d’avoir le sien!
La boîte d’optique, loin des hautes sphères mondaines, faisait quant à elle le bonheur des foires et autres fêtes de village, transportée à dos de colporteurs.
Ce spectacle populaire, pouvait être mis en récit, associé à de la musique, théâtre ou à un spectacle de marionnettes, transformant le colporteur en véritable showman. Qui repassait vite à la fin du spectacle à un rôle plus commercial, puisqu’il vendait aussi ces gravures, destinées à orner les demeures de ses acheteurs….
Ces spectacles étaient en effet peu onéreux (voire gratuit), d’où la multiplication des lentilles afin de permettre à plusieurs spectateurs de regarder en même temps et la vente de ces gravures qui permettait de s’assurer un certain revenu.
« Maux et merveilles » et « menus plaisirs » : ces spectacles et ces ventes étaient également un formidable vecteur de diffusion des gravures dans les campagnes, répondant au mouvement d’ouverture et de curiosité de l’ensemble de la société.
Les sujets représentaient l’actualité, souvent dramatique, avec les guerres, les catastrophes naturelles et industrielles, les événements politiques. Les scènes de la cour, bals, fêtes, feux d’artifices, mariages royaux et autres réjouissances aristocratiques, confortaient aussi le pouvoir en place par un prosélytisme véhiculant une image idyllique de la monarchie auprès des sujets.
Outre leur fonction esthétique et décorative, l’aspect pédagogique était également de mise, avec des scènes historiques (de la Révolution notamment). Le visiteur d’aujourd’hui se retrouve d’ailleurs à la place du spectateur d’autrefois, et se surprend ainsi à réviser l’Histoire avec des évènements parfois passés aux oubliettes du temps, mais qui pourtant furent importants à l’aune de l’actualité d’autrefois !
De véritables énigmes à résoudre pour la rédaction des cartels, pour le plus grand plaisir de l’équipe scientifique (cf « le festin de Tiflis » : historique, romanesque? La réponse dans l’exposition !).
Il est en effet à signaler que les cartels des œuvres sont développés, de manière claire et concise, pour une meilleure compréhension des œuvres et leur iconographie. C’est une pratique hélas trop rare dans les expositions, ce qui est fort dommage : bravo au musée Paul-Dupuy, qui documente toujours ainsi les siennes.
« Points de vues, images du monde » (encore un titre de section original et très efficace, chapeau bas M. le Conservateur !) : ces vues traduisent aussi le goût pour l’exotisme et les voyages du XVIIIe siècle. Notamment avec le Grand Tour d’Europe, effectué par les jeunes gens de la haute société : de nombreuses vues représentent monuments et sites célèbres français, italiens, anglais et allemands.
Elles permettaient de voyager en pensée, servant en somme de cartes postales souvenirs. Souvenirs cependant parfois idéalisés, car ces vues n’étaient pas toujours fidèles au modèle original et symbolisaient plus un imaginaire lié à l’ailleurs. Une gravure d’une même rue chinoise, par exemple, pouvait ainsi d’un exemplaire à un autre être attribuée à deux villes différentes….
Si ces gravures permettaient de faire rêver d’évasion, elles pouvaient aussi mettre à l’honneur la vie quotidienne : scènes de vie de pêcheurs, présence de bergers ou de livreurs dans une vue de château démontrent un véritable intérêt pour l’humain et la volonté sociologique de représenter cette réalité populaire.
Exclusivement produites en Europe dans 4 villes (Londres, Paris, Bassano et Augsbourg), les vues d’optique étaient peintes à la main en quelques endroits seulement (afin de laisser des éléments en noir et blanc pour la visibilité), de manière parfois grossière avec des couleurs vives mais limitées en nombre (jaune, bleu, vert, rouge, ocre, rose). De fait, les couleurs peuvent varier selon l’édition, ce qui rend au final chaque gravure unique.
Leur format était standardisé mais chaque centre de production avait ses spécificités pour les couleurs et les thèmes : les paysages et jardins pour Londres, les monuments ou l’actualité pour Paris, les scènes bibliques ou moralisatrices pour Augsbourg ; les vues anglaises et allemandes étant plus soignées et travaillées que les françaises.
Le musée a encore une fois frappé fort avec une ingénieuse scénographie réalisée par son équipe technique : ne se contentant pas d’accrocher les gravures au mur, deux dispositifs (un modèle adapté aux enfants & PMR et un autre plus grand pour les adultes) recréent chacun un immense zograscope à huit lentilles, permettant aux visiteurs d’expérimenter cet objet de jadis. Un dispositif immersif des plus ludiques !
Des fac-similés d’originaux exposés (un logo sur les cartels signale si l’œuvre est présente dans ces reproductions) peuvent être manipulés pour se plonger dans les vues d’optique (nette préférence pour « le phare de l’Égypte », avant-dernière vue de la vidéo !).
Le zograscope et la boîte d’optique, ancêtres de la stéréoscopie et de la 3D, se firent détrôner par d’autres dispositifs plus modernes au XIXe siècle, avec l’invention de la lithographie dès la fin du XVIIIe siècle puis de la photographie à partir de 1840 : le diorama de Daguerre et sa version miniature le polyorama, vendu à la fin de ses spectacles, le stéréodrome, etc.
On peut voir ces deux instruments exposés, mais étant trop fragiles pour les faire fonctionner, le musée a reconstitué l’enchaînement des vues d’un polyorama dans une vidéo, ce qui permet de se rendre compte des jeux de lumière de ce procédé.
Puis vint le règne du stéréoscope, inventé dans les années 1830 et consacré par l’invention de la photographie, dont l’usage perdura jusqu’à une époque récente. Il sépare par deux oculaires deux vues photographiques prises à quelques centimètres de distance, recréant ainsi l’illusion du relief.
Un authentique stéréoscope de la fin du XIXe siècle est mis à disposition des visiteurs avec un jeu de vues à visionner: un moment d’émerveillement où l’on retombe en enfance, s’évadant avec les paysages exotiques, s’enthousiasmant de la profondeur des perspectives d’architectures ou d’intérieurs de musées, frissonnant devant les saisissantes « diableries », scènes miniatures peuplées de figurines de diables sculptées.
La vidéo ci-dessous ne remplace bien évidemment pas l’expérience par soi-même car elle ne rend pas compte de l’effet de profondeur, comme pour la vidéo précédente du zograscope.
Coup de cœur pour la clôture de l’exposition : une longue boîte noire, percée de trous disposant d’une lentille, au travers desquels on peut observer l’évolution des stéréoscopes, depuis les modèles originaux du XIXe siècle jusqu’aux modèles plus récents du XXe siècle. Objets populaires par excellence dès leur invention, les stéréoscopes font partie de la mémoire collective : joujoux des menus enfantins d’un fast-food américain dans les années 2000 ou souvenirs de vacances, ils font remonter bien des souvenirs (le modèle Lestrade fut personnellement une formidable madeleine de Proust !).
Un trait d’union du passé à un présent pas si lointain, soulignant la continuité du succès de cet objet d’optique, depuis le zograscope jusqu’aux stéréoscopes en plastique du XXe siècle.
Une belle mise en boîte et en abyme pour ces objets, qui d’outils deviennent ainsi objets à admirer !
« Dans l’œil du zograscope » : une véritable parenthèse enchantée à découvrir d’urgence, pour un voyage dans le temps dépaysant!
Une programmation dédiée a été mise en place pour continuer l’exploration des vues d’optique : chaque premier dimanche du mois, animations et spectacles par les « Machines du Fantasmagore »; conférences par la commissaire d’exposition ; ateliers de croquis et « visites à croquer ».
Il est à noter que ces œuvres étant fragiles, elles ne peuvent être exposées plus de trois mois. L’exposition en durant six, il y aura donc un changement d’œuvres en janvier, avec remplacement par des gravures identiques ou similaires. L’occasion d’observer les menues variations entre deux éditions !
Merci à Claire Dalzin, responsable des collections d’estampes et de photographies anciennes du musée Paul-Dupuy et commissaire de l’exposition, pour ses passionnantes explications.
Mariette Escalier
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