Je reviens toujours avec plaisir à Toulouse. Plusieurs fois l’an, je visite ses musées d’art et plus particulièrement les Abattoirs. Mais peu à peu mon intérêt s’émousse car rien de vraiment copieux ni d’excitant ne nous est offert.
Les Augustins ont présenté, il y a trois ans, un pâle chapitre d’un « Caravagisme européen » exaltant à Montpellier ; la saison dernière une aimable rétrospective Benjamin-Constant ; reste le souvenir ancien d’une prometteuse exposition Nicolas Tournier. Nous sommes loin des programmations ambitieuses des musées de Rouen ou de Montpellier en terme d’engagements artistiques et sans doute financiers. Mais l’on voit bien à la lumière de ces exemples que ce ne sont pas l’argent ou les effets de la crise qui, ailleurs, seraient seuls responsables des baisses de régime. Après tout, il n’y a qu’à savoir resserrer les objectifs et les missions de nos institutions – clamer avec le camarade Engels que « la crise est un état productif, il suffit de lui ôter son goût de catastrophe » au lieu de s’abîmer dans une terne moyenne. Le Musée Saint-Raymond n’affichait-il pas fièrement cet été que « le musée est ce qu’il ose » ! CQFD.
Aux Abattoirs, la déception domine. Rien d’ambitieux ni d’exigeant dans une programmation bien peu folichonne, aussi étriquée que celle d’un petit centre d’art transi ou d’un musée engourdi en dépit de la qualité de ses collections. Ce lieu magique et si original n’aurait-il plus les moyens de ses ambitions ainsi qu’on le pressentait depuis longtemps ? Pourtant, l’on y a vu des expositions étonnantes, enthousiasmantes ou fort moyennes mais toujours intéressantes et qui incitaient à revenir parce qu’elles faisaient la part des sensibilités, entre art moderne et art contemporain, pour les goûts partagés et renouvelés des publics.
Mais le problème ne semble pas seulement la question des programmations. Il en va aussi de l’esprit des lieux, quelque peu malmené : la vaste halle centrale, si vide trop souvent, tout comme la belle salle du Rideau de Picasso, si difficile à investir ou prendre en compte, enfin, les petites salles latérales de plus en plus fermées sur leur contenu – au demeurant, mieux vaut cela que la condamnation de la moitié des salles basses de l’étage comme ce fut le cas tout cet été.
La fluidité d’un parcours souple et aéré, qui faisait le charme des lieux, s’est repliée sur des accrochages confinés qui semblent embarrassés de leur confrontation à une architecture qu’ils n’aimeraient pas. A moins que les œuvres présentées – surtout les pièces historiques – ennuient les commissaires : c’est franchement le ressenti du dernier accrochage de l’été consacré aux collectionneurs-bienfaiteurs, bien mal servis, n’était peut-être le plus contemporain. L’on y revoyait des toiles magistrales trop sobrement et trop sagement alignées – comme au musée a-t-on envie de sourire, alors qu’on les avait aimées dans la liberté et l’appel des espaces. Question de goût, certes. Mais des espaces sans joie n’incitent ni au plaisir ni au désir de la visite. Ainsi des salles dévolues à la donation de Monsieur Cordier où les désordres éclectiques qui agissaient le collectionneur prennent les formes d’une histoire empruntée dont on a le sentiment qu’on la gommerait bien plutôt que de l’exalter dans une mise en scène tonique.
Il n’est pas jusqu’aux publicités, cartons d’invitation et affiches qui ne trahissent cette forme d’ennui qui caractérise d’ailleurs trop souvent les modes culturelles artistiques du moment. Confuses, illisibles pour ne pas dire absconses parfois, voudraient-elles éloigner ou sélectionner un certain public ?
Mais espérons, espérons encore puisque l’on nous promet une exposition d’importance autour du fameux Rideau de scène de Picasso : « Les horizons mythologiques » du maître est-il annoncé. Du copieux et du consistant, de l’excitant et du positif, souhaitons-le.
Sommes nous condamnés à rêver ?
Michel Marien