Frédéric Chambert, Directeur artistique du Théâtre du Capitole, vient d’être nommé, à l’unanimité, Directeur Général du Théâtre Municipal de Santiago du Chili. Il prendra ses fonctions à l’issue de la présente saison du Théâtre du Capitole, devenant ainsi le patron de la plus importante institution culturelle d’Amérique latine
A la veille de l’ouverture de votre dernière saison au Théâtre du Capitole, quel regard portez-vous sur vos années passées à Toulouse ?
Des années riches dans une maison d’une passionnante complexité. La complexité réside dans une mission beaucoup plus difficile qu’elle ne paraît, réside aussi dans une gouvernance infiniment diluée à Toulouse du fait même de son statut de théâtre en régie municipale directe. A mon sens, la maison que je laisse est plus rationnelle que celle que j’ai trouvée en arrivant en cela qu’elle fonctionne selon des normes standards de ce type d’institution aujourd’hui. Ce travail n’est pas visible de l’extérieur. On m’avait dit, avant mon arrivée effective dans cette ville, que le public toulousain était extraordinairement conservateur, presque caricatural. Au fur et à mesure de mes saisons, je me suis rendu compte que c’était totalement le contraire. Ce public est non seulement cultivé mais aussi tout sauf sclérosé dans ses goûts comme dans ses habitudes. Et je tiens à souligner que les spectateurs les moins conservateurs sont les plus âgés. Ce sont des personnes qui ont vu beaucoup de choses au théâtre. A ce titre j’ai été largement conforté dans mes choix après le Simon Boccanegra de la Halle aux grains. C’était mon premier spectacle. Une proposition audacieuse de Jorge Lavelli, austère, parfaitement cohérente, dramatiquement puissante et intelligente. Si l’accueil le soir de la première a été poli, sans plus, celui de la matinée qui a suivi a été beaucoup plus enthousiaste alors que le public est traditionnellement plus entré dans l’âge. C’est peut-être l’un de mes souvenirs les plus forts car là j’ai compris non seulement que j’avais gagné, mais également que je me devais donc d’aller jusqu’au bout de mon projet pour le Capitole. Je suis persuadé qu’il ne faut pas « fabriquer » tel type de spectacle pour tel type de public car on ne connaît jamais véritablement le public. Et je crois à Toulouse encore moins qu’ailleurs. Surtout pas de certitude ni de présomption mais beaucoup de sincérité et l’envie permanente de partager, voilà dans quel état d’esprit j’ai dirigé cette maison. Je dois dire aussi que cela a été possible grâce à un personnel qui a parfaitement répondu à la réorganisation que j’ai engagée. Petit à petit une certaine confiance s’est établie avec le public et celui-ci n’a pas hésité à me suivre.
Vous êtes-vous inscrit dans une continuité historique ou bien avez-vous souhaité créer des lignes de fracture ?
Des lignes de fracture, certainement pas. J’ai une conception de mon métier et de plus du service public qui est proche de celle d’un directeur de musée. Entendons-nous bien, non pas parce que nous exposons des œuvres mortes, encore faudrait-il démontrer que les œuvres d’art visuelles sont mortes, ce qui n’est pas mon avis bien sûr, mais tout comme le directeur du Louvres qui expose les peintres contemporains et les antiquités égyptiennes, et bien il m’appartient de balayer tout le répertoire lyrique connu. Mes goûts personnels n’ont rien à voir avec mon métier. L’opéra est né vers le 17ème siècle et on continue d’en créer en permanence de par le monde. Rien n’est pire, dans ce genre d’institution, que la confiscation au profit de modes et de tendances, de pans entiers d’un répertoire. Le répertoire illustré par les années Nicolas Joel était très large, ne l’oublions pas. Ma démarche a consisté à continuer une exploration de l’univers lyrique en ajoutant aux œuvres déjà entrées au fronton du Capitole. C’est une question d’offre et l’on se doit qu’elle soit la plus large possible dans la vie d’un spectateur.
Venons-en à présent à votre nomination en tant que Directeur Général de l’Opéra de Santiago du Chili, fonction que vous assumerez pleinement à l’issue de la saison 2015/2016 du Théâtre du Capitole. Quel sera votre statut dans ce lieu historique de la culture du continent latino-américain ?
Je suis Directeur général de cette institution. Mes prérogatives s’étendent donc à l’orchestre, au ballet et à la saison lyrique. Les phalanges musicales sont sous la direction d’un jeune chef russe, Konstantin Chudovsky, à qui vraisemblablement je vais demander de prolonger son contrat. La compagnie de ballet, composée d’une soixantaine de membres, est dirigée par une grande dame de la danse : Marcia Haydée. Au total, cette maison fonctionne avec près de 500 personnes permanentes.
Qu’est-ce qui vous a fait franchir le pas ?
Il y a deux choses dans votre question. L’une que vous ne me posez pas, et je vous en remercie mais je vais y répondre quand même, ce sont les raisons qui m’ont amené à quitter Toulouse, et ensuite pourquoi Santiago du Chili ? Je ne quitte pas Toulouse par lassitude vis à vis du personnel, du public, ou je ne sais quoi. Non, plus simplement, la Ville de Toulouse, sous des formes diverses, m’a fait comprendre depuis quelques temps que la prolongation de mon mandat au Capitole n’était pas acquise. La Ville de Toulouse a la responsabilité du Théâtre du Capitole. Elle a sa stratégie, ses raisons, elle est donc dans son rôle. Clairement, si la confiance de la Ville m’avait été renouvelée de manière flagrante, je ne pense pas que je serais allé voir ailleurs. Cela dit, le fait même que l’une des forces artistiques majeures de cette maison, je veux parler de l’orchestre bien sûr, joue le rôle d’Arlequin serviteur de deux maîtres, rend considérablement les choses difficiles, malgré la bonne volonté de tout le monde. Les problèmes de tournées, de planning, de surcharge de travail pour les musiciens ont fini par me lasser. C’est une véritable pathologie de cette maison dont je ne veux plus entendre parler car c’est terriblement usant. D’autres ont trébuché sur ce problème. Comme moi. Alors pourquoi Santiago du Chili ? De manière très peu romantique je dois dire, c’est l’occasion qui s’est présentée à ce moment crucial de ma carrière. Après le Théâtre du Capitole, qui est un théâtre important à l’échelon international, c’est pour moi une chance extraordinaire de me voir offrir le théâtre de la capitale chilienne. Une chance à plus d’un titre car je suis de culture latino-américaine. L’Espagnol est ma seconde langue et je le pratique couramment. Je connais bien la littérature, la chanson, les artistes toutes disciplines confondues de ce pays. L’Amérique latine est un continent que je connais bien, où je vais quasiment tous les ans depuis plus de trente ans et dans lequel je compte de nombreuses amitiés. En clair, dès que je suis arrivé à Santiago, je me suis senti chez moi à un point tel que cela a presque amusé les personnes que j’ai rencontrées pour mes différents entretiens. Dans une autre partie de ma vie j’ai traduit de la littérature latino-américaine et ce qu’il y a de formidable c’est qu’aujourd’hui je peux réunir deux pans entiers de mon identité culturelle et affective.
Frédéric Chambert, peu après sa nomination, au Teatro Municipal de Santiago du Chili
Sur quel projet avez-vous été retenu et quels ont été vos atouts face à une concurrence autochtone de très haut niveau ?
Le processus de sélection a été long mais extrêmement professionnel. Dans un premier temps, le Conseil d’administration, présidé par la maire de Santiago, Carolina Tohá, a fait appel à un cabinet de chasseurs de têtes. Au départ nous avons été une trentaine de candidats, puis la sélection s’est opérée très naturellement à la suite de différents entretiens menés de manière très intelligente, souvent à bâtons rompus. C’est au cours de toutes ces discussions avec des personnes de très haut niveau formidablement engagées dans la vie culturelle chilienne que j’ai pu exprimer un certain nombre de mes convictions. La question qui m’était posée est celle de la promotion des artistes lyriques chiliens. J’ai renversé la question car le vrai sujet qui est posé dans ce pays est celui de la formation. Je pense donc que le bon rôle dans ce domaine que doit jouer ce théâtre est celui de veiller à cette phase cruciale qui est le temps entre la fin du Conservatoire et celui des premiers engagements. L’autre thème est celui du rôle social d’une pareille institution. J’ai été particulièrement attentif à cela à Toulouse, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai, entre autre, créé une Maîtrise et je compte proposer ce type de formation à Santiago. Vous dire encore que ce théâtre à une jauge de 1500 places et que le rideau se lève 170 fois par an in loco plus une centaine de fois hors les murs, opéra, ballet et concert tout inclus.
Vous laissez à votre successeur des saisons largement signées, comme il est de nécessité dans votre métier.
Les saisons d’opéra du Théâtre du Capitole sont complétement construites jusqu’en juin 2018.
Si vous aviez à sélectionner un directeur de théâtre, quelle serait la première qualité que vous lui demanderiez ?
L’écoute de son environnement, de la société qui l’entoure, un questionnement sur le rôle des institutions culturelles aujourd’hui. Je pense que la place de l’opéra a changé dans le monde depuis une quinzaine d’années. Les institutions telles que la nôtre, dans des pays pris par la tourmente économique, ne peuvent s’abriter derrière le seul discours de l’excellence. Les opéras doivent rendre des comptes et participer à la redynamisation de la société, et la culture est un outil extraordinaire en cela. Il nous appartient d’enchanter le monde. Ensuite il y a l’écoute d’une maison d’opéra dans laquelle il y a de l’humain à tous les étages si je puis dire. Il faut ensuite entendre la voix politique car ces maisons dépendent du pouvoir politique. Donc, il faut être attentif au projet social et culturel porté par une ville, dans la mesure bien sûr où elle en a un. De ce point de vue, je dois dire que j’ai été reçu par les plus hautes personnalités chiliennes, à commencer par la Présidente de la République, Michelle Bachelet, qui m’a exprimé toutes ses attentes de la part de ce théâtre qu’elle considère comme national dans son rôle. Et je peux vous dire que c’est particulièrement enthousiasmant de contribuer à développer un projet culturel clairement établi.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 28 août 2015
Teatro Municipal de Santiago de Chile