Dans quelques semaines, Marciac va vivre au rythme du jazz et nombreux sont les Toulousains qui prendont le chemin de la célèbre bastide gasconne pour goûter aux plaisirs languides des soirées musicales du plus célèbre des festivals de l’été. Les mieux inspirés des festivaliers auront pris soin de glisser dans leurs valises deux livres – « Quatre boules de jazz. Nougasongs » (Alter Ego) by Yves Charnet et « De briques et de jazz. Le jazz à Toulouse depuis les années 30 » (Atlantica) signé Charles Schaettel – qui passionneront les mélomanes avertis autant que les bienheureux profanes. Yves Charnet et Charles Schaettel ont un point commun. Tous deux aiment la musique (celle des mots comme celles des notes) mais surtout ils ont, dans leur ouvrage, réveillé des souvenirs endormis, mis au jour des documents enfouis, exhumé des archives inédites. Le premier sur sa camaraderie avec le regretté Claude Nougaro. Le second sur l’époque où les notes bleues résonnaient aux plafonds des caves voûtées, dans les fosses des cinémas d’antan, sur les scènes des salles de concert ou les podiums des clubs de la Ville Rose. Normalien et spécialiste du grand Baudelaire, Yves Charnet est un magnifique poète à « l’incurable mélancolie » (Denis Podalidès, dans sa préface à « Proses du fils »), un « prosateur de l’enfance », le petit frère méridional d’Annie Ernaux. Diplomé d’histoire de l’art, conservateur en chef du patrimoine, avant tout mélomane, Charles Schaettel est un authentique historien de la musique et de la Ville Rose.
Les archyves Nougaro
Démarrées au printemps 2013 sur une terrasse pluvieuse du vieil Antibes, continuées dans les trains, dans les cafés de la Ville Rose, de la Canebière, de Nevers ou de la côte basque, les « Quatre boules de jazz » d’Yves Charnet sont bien plus que les « divagations jazzistiques » d’un poète ultra-sensible. Elles sont un hommage à l’ami Nougaro, rencontré pour la première fois en juin 1981, cet artiste majuscule décédé il y a un peu plus de 10 ans maintenant. Nougaro, l’immense poète, l’homme qui aimait les femmes. Elles sont aussi un formidable témoignage : celui d’une « amitié faramineuse » entamée dans la cuisine de l’avenue Junot, poursuivie dans le salon du quai de Tounis et interrompue avec le décès du poète-chanteur. Ces « Quatre boules de jazz » sont enfin un morceau d’autobiographie (« quête paperassière de vieilles vérités personnelles »), un nouveau chapitre d’une autofiction sans fin commencée en 1993 avec « Proses du fils » dans lequel celui qui se qualifie de « kleptomane des lettres » se confie, se confesse, parle de ses amours (Marie-Pierre, Rachida…), de ses souvenirs d’enfance (Nevers chez sa mère), de son admiration lorsqu’il était « petit garçon » pour « les gangsters à la vie déglinguée et leurs violentes cavales », de ses rêves (celui de devenir chanteur…) et de ses douleurs d’enfance… Ces « Quatre boules de jazz » sont au fond un livre sur la vie tout court, ce « manège fantôme duquel tout le monde descend à la fin ».
C’était le temps où le Mississippi coulait à Toulouse
« De briques et de jazz » est un beau livre dans tous les sens du terme. Il raconte de belles histoires méconnues notamment celle de l’arrivée du jazz à Toulouse au milieu des années 1930. On y croise de bien belles personnes, des artistes de grand talent, des musiciens passionnés au premier rang desquels figurent Hugues Panassié (fondateur du Hot-Club de Toulouse l’année où le Front Populaire remporte les élections législatives), Guy Laffite (l’autre père, avec Jean-Louis Guilhaumon, du festival de Marciac), Roland Lobligeois, Claude Tissendier et tant d’autres. On s’y promène dans des magnifiques endroits plein de vitalité créatrice aujourd’hui disparus (le Café de Sion, l’Albrighi, les Américains, la Tournerie des Drogueurs, le Grand Hôtel, l’Eldorado…). Tout au long des trois cents pages magnifiquement illustrées, Charles Schaettel nous montre combien Toulouse la méridionale, capitale de « l’American Gascony », a su très tôt s’ouvrir à ce que certains croyaient être une « musique de sauvage » à tel point qu’on peut se demander si ce n’est pas le Mississippi bien plus que la Garonne qui coulait alors le long des berges de la Ville Rose. Et s’il nous invite à un voyage dans le temps, Charles Schaettel invente aussi pour nous une nouvelle géographie de la Ville Rose, une géographie artistique dans laquelle la musique construit des passerelles entre les rives, tisse des liens entre les hommes et les femmes, transcende les différences. Surtout, en archiviste passionné, il ressuscite un pan entier du patrimoine immatériel toulousain et écrit une page méconnue de l’histoire culturelle de la Cité des Capitouls.
Philippe LASTERLE
Club littéraire du Belvédère
« De briques et de jazz » – éditions Atlantica
« Quatre boules de jazz » – Alter Ego éditions