Il y a tout juste 20 ans, la Fondation Bemberg* ouvrait ses portes à Toulouse dans l’un des plus beaux édifices de la Renaissance, l’Hôtel d’Assézat. Pour célébrer cet anniversaire et rendre hommage à son créateur Georges Bemberg, son président Guilermo de Osma a souhaité présenter, chaque été, une exposition en résonnance avec les œuvres de la Fondation et qui serait issue des collections privées les plus prestigieuses de France et du monde. Pour inaugurer de la plus belle manière cette nouvelle politique, la Fondation Bemberg accueille donc du 25 juin au 27 septembre 2015 l’exposition « Les majoliques italiennes de la Renaissance de la collection Paul Gillet ».
Avec une sélection d’à peu près cent pièces exceptionnelles, l’exposition présente un panorama à la fois exhaustif et brillant de la céramique de la Renaissance. Constituée au début du XXème siècle par Paul Gillet (1874-1971), industriel lyonnais, cette collection d’objets, miraculeusement parvenus jusqu’à nous, s’avère être une des plus belles en Europe. Il a eu pour ambition de réunir des pièces de grande qualité des principaux centres de production, non seulement des chefs-d’œuvre de la majolique de Faenza, de l’istoriato d’Urbino, de la production à lustre métallique de Deruta et Gubbio, mais aussi de très belles pièces représentatives des autres centres. En véritables mécènes, Paul Gillet et sa veuve ont fait don de la collection au Musée des arts décoratifs de Lyon, où elle est habituellement conservée : cette collection offre une occasion unique de présenter, à la lumière des découvertes les plus récentes, un panorama séduisant de la céramique de la Renaissance.
Les majoliques tirent leurs nom de l’île de Majorque, Majolica, centre de production de faïences renommées, mais celles-ci viennent de centres de production italiens peu connus comme Faenza (qui a donné le mot français faïence), Gubbio, Castelli d’Abruzzo, Casteldurante etc. mais aussi Sienne, Urbino, Naples,
Le matériau de base est la terre argileuse mélangée avec du plomb, du manganèse et du cobalt*.
La Majolique, nom de la faïence italienne, est un reflet de l’extraordinaire vitalité artistique de la Renaissance ultramontaine et se prête particulièrement au décor ornemental ou historié inspiré par le répertoire de l’Antiquité, en y ajoutant l’éclat du lustre et la splendeur des couleurs. Véritables tableaux miniatures, les thèmes choisis par les peintres sont issus de la mythologie, de l’histoire, mais aussi des fables et épisodes populaires ou de sujets allégoriques.
On peut admirer dans le joyau de la Renaissance qu’est l’Hôtel d’Assézat, cette vaisselle de réception et d’apparat, ces récipients pour verser à boire (versatore), aux noms pittoresques comme « chevrette », ces pots d’apothicaires (très courants pour l’usage da farmacia qui conjuguait les influence arabes et humanistes : ils étaient conçus à l’origine en Orient pour contenir les épices) etc.
L’œil est séduit par la richesse de l’iconographie qui emprunte bien sûr à la mythologie, à la religion, mais aussi aux paysages de peintres célèbres comme Le Pérugin ou aux poètes comme Ovide.
Les couleurs sublimes et fraiches, ces polychromies éclatantes de lustre, sont un véritable régal qui fait du bien à l’âme, incite à la Poésie : ce n’est pas étonnant avec leurs bleus si profonds qu’on pense à cette notation du Gaulois (Paris 1868) : un singe en majolique grimpe au cordon de la sonnette
Et bien sûr à Aragon, notre dernier poète courtois, dont le Bierstube magie allemande, magnifiquement mis en musique par notre cher Léo Ferré, évoque cette belle : Elle avait des yeux de faïence. Elle travaillait avec vaillance. Pour un artilleur de Mayence…
Ces facettes méconnues de la Renaissance italienne dans toute sa floraison, dont la fragilité ajoute encore à leur valeur esthétique et poétique, sont un art totalement abouti. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, en italien, « maiolica » est désormais synonyme de « faïence ».
Cette précieuse exposition fait écho à la période de la Renaissance qu’affectionnait tant Georges Bemberg. En effet, ce collectionneur, qui a dédié sa vie à l’art, profondément humaniste et européen dans l’âme, était sensible à la perspective d’universalité de cette époque, perspective qui connut alors un développement artistique sans précédent favorisé par le raffinement des cours européennes et par l’essor des cabinets d’amateurs. Cette exposition s’inscrit en parfaite harmonie avec les collections de la Fondation, non seulement au regard de ses objets d’art et de ses majoliques également prisés par Georges Bemberg mais aussi de sa collection de bronzes Renaissance et de ses nombreux tableaux du XVIe siècle : Véronèse, Le Tintoret, Clouet, Cranach…
Première d’une série d’expositions sur les collections Gillet, pour un dialogue en écho entre les œuvres la Fondation Bemberg et du Musée des Arts décoratifs de Lyon : nous sommes en présence d’un tiers des collections de celui-ci destinées à être vues par le plus grand nombre.
Merci aux organisateurs de « nous donner à voir » (comme disait Paul Eluard) tant de beauté. Notre monde « moderne » en a grand besoin ; autant que de fraicheur en cette période de canicule !
E.Fabre-Maigné
23-VI-2015
© reproductions: Musée des Arts décoratifs de Lyon – photos Sylvain Pretto.
* Fondation Bemberg Hôtel d’Assézat Place d’Assézat 31000 TOULOUSE
Tel 33(05)5 61 12 06 89 accueil@fondation-bemberg.fr
Ouvert de 10h à 18h et le jeudi jusqu’à 20h 30 sauf le lundi
Site : www.fondation-bemberg.fr
** La faïence est une terre cuite à base d’argile. Il en existe deux types : la faïence stannifère, recouverte d’une glaçure stannifère (à base d’étain) opaque appelée engobe, qui masque totalement la pâte avec laquelle elle a été façonnée et lui donne son aspect caractéristique blanc et brillant, et la faïence fine, dont la pâte blanche ou légèrement ivoire, précuite puis décorée, est recouverte d’une glaçure plombifère (à base de plomb) transparente.
La faïence est l’une des plus communes et des plus anciennes techniques utilisées en céramique. La découverte de la faïence, au ixe siècle et sa diffusion en Occident à la Renaissance représentèrent une avancée technique majeure : pour la première fois, le potier s’affranchissait des décors cloisonnés ou incisés pour délimiter les couleurs. Surtout, il pouvait utiliser le fond blanc pour exécuter une véritable peinture et reproduire des décors élaborés, susceptibles d’être inspirés par de grands artistes. Sur la glaçure blanche et poreuse, les couleurs pouvaient être posées au pinceau, sans risque de s’épancher sur le vernis. Elles ressortaient vivement, ce qui n’était pas possible avec le seul fond foncé de l’argile.
La plupart des terres cuites de faïence utilisent une terre argileuse de teinte ocre, mélange de potasse, de sable, de feldspath et d’argile. C’est l’un des plus anciens mélanges employés en céramique. Recouvertes de leur émail à base d’étain, blanc ou coloré, les pièces de terre cuite deviennent des faïences.