Adaptation d’un roman d’Ödön von Horváth par le metteur en scène Jean Bellorini, « Un fils de notre temps » est actuellement accueilli dans le studio du TNT.
Bien que mort jeune accidentellement, Ödön von Horváth a laissé une œuvre riche, essentiellement dramatique – dont la pièce « Casimir et Caroline » – mais aussi romanesque. C’est justement l’un des ses romans que le metteur en scène Jean Bellorini a choisi d’adapter, « Un fils de notre temps » accueilli dans le studio du TNT. Les écrits d’Horvath, considéré dès 1933 comme «auteur dégénéré» par le régime nazi, sont profondément en lutte contre la montée du nazisme et ses dangers en germe. Ce dernier opus, âpre, écrit en 1938 juste avant sa disparition, est tout à fait significatif de ses préoccupations ; il y dénonce l’embrigadement radical d’une jeunesse à la dérive, en manque d’identité… d’une actualité retentissante. Il y démasque le racisme, la politique d’agression, le totalitarisme d’un pays, le sien, à l’aube d’une guerre qu’il n’aura pas l’occasion de voir, évoquant déjà un petit pays que l’on envahit et à qui l’on coupe la tête et une guerre lâche menée contre des femmes, des enfants et des vieillards.
Narré à la première personne, ce court roman raconte les errances d’un jeune chômeur en révolte contre sa condition de miséreux et contre un père pacifiste, éclopé de la Grande Guerre, trouvant une raison d’exister dans l’armée et dans la carrière de soldat. C’est en son capitaine, seule personne dont il admire le courage et les idées, que le protagoniste qui dit détester tout le monde y compris lui même, trouvera un père de substitution. Mais quand cet idéal va s’écrouler, c’est toute la vision du monde qu’il s’était construite à travers lui qui s’écroule. Cynique et désabusé, ce «soldat du Reich» va faire l’expérience des réalités de la guerre et des mensonges des hommes et après moult déceptions et désillusions, être amené à se poser les vraies questions existentielles qu’il avait toujours fuies. Texte à l’écriture réaliste et acérée et néanmoins traversé d’images poétiques, « Un fils de notre temps » est un manifeste contre toutes les idéologies et une profonde réflexion sociale.
Jean Bellorini fait porter ce monologue intérieur par quatre jeunes comédiens-musiciens issu de la promotion 2012-2013 de l’Atelier (ex Atelier Volant) dans une forme polyphonique qui confère une résonance à la prédominance du groupe sur l’individu dont il est question tout au long du récit et aux multiples facettes d’un jeune homme en crise, ici misogyne, là amoureux, révolté, bouleversé, cruel, fragile, menteur, enfantin… Malgré un engagement et un charisme inégaux, ces quatre garçons «de leur temps», vêtus à la mode d’aujourd’hui, apportent par leur jeunesse et leur fraîcheur une intensité touchante et actuelle à ce récit d’apprentissage d’ »Un autre temps » : ils se font les porte-paroles d’une jeunesse abandonnée par la société, désœuvrée, précaire, exempte de repères.
Le roman au constat grinçant est traversé toutefois d’accents ironiques d’autodérision et d’une poésie lumineuse, grâce notamment à la présence récurrente d’une jeune femme – image de la pureté – aperçue à la caisse d’un château hanté dans une fête foraine. Des accents poétiques et magiques que les comédiens récréent sur scène par la force de leur incarnation et par quelques trouvailles scénographiques et inventivités musicales de leur cru. Le parti pris de cette choralité masculine rencontre cependant ses limites quand les comédiens ont recours à des imitations vocales un peu maladroites qui desservent la puissance de l’évocation et la force du récit. Dommage car ce quatuor parvient à maintenir l’attention de ce long monologue, avec ses ruptures fantasmagoriques et oniriques, ses touches ironiques et humoristiques très bien maniées et ses passages dialogués, légèrement slamés ou choraux.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
« Un fils de notre temps », jusqu’au samedi 23 mai au TNT,
1, rue Pierre-Baudis, Toulouse. Tél. 05 34 45 05 05.
–
photo © Pierre Dolzani