Pour son concert du 23 mai prochain, Tugan Sokhiev puise dans l’héritage de son orchestre. La musique française reste en effet le répertoire le plus présent dans l’ADN de l’Orchestre National du Capitole. L’essentiel du programme de cette soirée est consacré à Maurice Ravel : le Concerto pour la main gauche, pour piano et orchestre en ré majeur, La Rapsodie espagnole et La Valse représentent un triptyque significatif de toute l’œuvre du compositeur. Le jeune et talentueux pianiste français Jean-Frédéric Neuburger sera le soliste du concerto. Henri Dutilleux, l’héritier direct de Ravel et Debussy, récemment disparu, complétera ce programme riche et coloré avec l’une de ses œuvres phares, Métaboles.
L’affinité de l’Orchestre National du Capitole avec le grand répertoire français date de la longue période de direction exercée par Michel Plasson. Tugan Sokhiev retrouve périodiquement cette tradition musicale. Cette fois, il réunit deux compositeurs de la lignée des grands représentants d’une école toujours très active. Maurice Ravel continue de marquer de son sceau tout l’Histoire de la musique. Son Boléro reste l’une des partitions classiques les plus jouées au monde. Il sera représenté ce 23 mai par trois de ses œuvres les plus emblématiques. Son Concerto pour la main gauche est dédié au pianiste autrichien Paul Wittgenstein. Amputé du bras droit pendant la Première Guerre mondiale, cet héritier de l’une des plus fameuses dynasties autrichiennes, avait décidé de transcender ce trauma en commandant à des compositeurs de l’Europe entière, des œuvres uniquement jouables à la main gauche. Benjamin Britten, Paul Hindemith, Erich Wolfgang Korngold, Sergei Prokofiev, et Richard Strauss acceptent le défi. Mais le projet provoque immédiatement l’intérêt de Ravel qui trouve dans cette idée un profond et double écho : compositionnel évidemment, mais aussi politique. Défenseur d’un patriotisme sans xénophobie, l’idée d’écrire pour un interprète issu des « rangs ennemis », comme lui marqué par les tranchées, séduit le musicien. Le Concerto pour la main gauche, œuvre noire et torturée, dit l’impact de la guerre sur le compositeur.
Le soliste de cette partition sera l’un des grands pianistes français de sa génération. Né en 1986, Jean-Frédéric Neuburger, finaliste au Concours international Long-Thibaud en 2004, est rapidement devenu un interprète recherché et reconnu pour l’extrême variété de son répertoire, de Bach aux compositeurs du XXIe siècle. Il joue aux côtés des orchestres les plus prestigieux. En octobre 2014, il crée le Concerto pour piano de Philipp Maintz avec l’Orchestre philharmonique de Luxembourg lors du Festival Musica à Strasbourg. On le retrouve ensuite en janvier 2015 à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre de Paris et Christoph von Dohnànyi. Il est invité par les plus grands festivals internationaux et se produit en tant que chambriste avec Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou, Tatjana Vassiljeva, les Quatuors Modigliani et Ebène, etc. Il développe également une carrière de compositeur couronnée par le prix 2010 « Nadia et Lili Boulanger » de l’Académie des Beaux-arts. Il était déjà l’hôte de l’Orchestre National du Capitole et de Tugan Sokhiev lors du concert du 9 septembre 2010.
La Rapsodie espagnole (Prélude à la nuit – Malaguena – Habanera – Feria) joue sur les codes établis et les attendus autour de l’Espagne, sublimés par une écriture orchestrale étincelante. Quant au poème chorégraphique La Valse, créé en décembre 1920, il évoque les souvenirs des Strauss, père et fils, ceux de l’Empire des Habsbourg englouti par la Première Guerre mondiale, la Vienne fastueuse, cosmopolite de Mahler et de Klimt. La Valse se précipite en un vaste tourbillon vers sa propre destruction, en une course à l’abîme prémonitoire et glaçante.
Une œuvre majeure d’Henri Dutilleux, disparu le 22 mai 2013, à Paris ouvrira le programme du concert : Métaboles. A la tête d’une production exigeante essentiellement orchestrale et qui ne comporte qu’un nombre relativement restreint de pièces, Dutilleux prolonge brillamment la grande lignée des compositeurs français du début du XXème siècle. Métaboles, qui s’inscrit dans une problématique de la forme symphonique, est constituée de cinq parties enchaînées. Le sens de cette partition colorée est affirmé dans ce commentaire du compositeur lui-même : « Comme dans la nature – le monde des insectes par exemple – un élément subit une succession de transformations. A un certain stade d’évolution, la métamorphose est si accusée qu’elle conduit à un véritable changement de nature ».
Créée en 1965, cette œuvre fut l’objet d’une commande de « The Musical Arts Association » à l’occasion du 40ème anniversaire du Cleveland Orchestra et dédié à son chef, George Szell.
Serge Chauzy
une chronique de Classic Toulouse