Dans le cadre du « 17 mai, journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie (IDAHOT) », 2 événements culturels sont proposés lors de la journée du samedi 16 mai
– de 14h à 18h, une Bibliothèque Vivante à la Médiathèque José Cabanis, un espace de dialogue unique avec des personnes LGBT, mais aussi leur entourage ou des professionnels, représentant divers points de vue.
– 19 h 30 : Rencontre, discussion et séance de dédicace du dessinateur citoyen Nawak, à l’Auditorium de l’Espace des Diversités et de la Laïcité.
En attendant la rencontre de cet après-midi, voici la rencontre que Nawak a bien voulu m’accorder hier
J’ai découvert ton blog il y a très peu de temps en fait, via un ami qui a partagé un de tes dessins. Depuis combien de temps dessines-tu et combien de temps cela te prend ?
Je dessine de manière professionnelle depuis février 2013. J’ai toujours dessiné avant, mais quand j’ai quitté mes fonctions, mon ancien employeur m’a conseillé de me professionnaliser. Je me suis donc lancé. Au début, je n’étais pas très assidu car j’étais parti pour être un dessinateur très consensuel – dessiner pour les mairies, les organisations et les associations – donc je faisais des petits dessins sur des sujets propres aux entreprises. A côté, je faisais des dessins sur le Mariage pour tous puisque ça commençait un peu à bouillonner, mais je signais avec mon vrai prénom. Au bout de 6 mois, j’ai assumé Nawak et mes convictions pour rentrer dans l’arène avec mon nom d’artiste. J’ai perdu le seul client que j’avais à ce moment-là, mais j’en ai trouvé d’autres grâce à ça. Pris dans le feu de l’action, tu t’aperçois que Nawak, c’est 2 à 3 heures, voire 5 heures par jour, au maximum, en plus du travail de la journée. Il y a des périodes où je lève le pied pour avoir une vie privée et sociale. Ça prend énormément mais je fonctionne par passion.
Où prends-tu tes sources d’informations ?
Le Monde et Le Huffington Post, plusieurs fois par jour. BFM TV aussi, de temps en temps, je l’avoue, c’est de l’info pré-mâchée, c’est facile après de sortir des thèmes. Beaucoup d’idées de dessins viennent de choses que je peux lire sur Twitter. Parfois une petit blague passée inaperçue sur Twitter prend une toute autre impulsion une fois dessinée.
Vérifies-tu ta source avant le dessin ? Car l’AFP a fait des annonces fausses récemment…
Je ne suis pas journaliste et j’estime qu’ils ont à bien faire leur travail. Je fais par contre bien attention à ne pas tomber dans la diffamation. Le dessin récent avec Robert Ménard, qui attache une étoile jaune, je l’ai fait vérifier par des amis qui travaillent à SOS Racisme, par un ami avocat pour couvrir mes arrières, en espérant ne pas me tromper.
Si tu couves tes arrières, cela signifie-t-il que tu as déjà été attaqué, d’un point de vue légal ?
Non. Un groupe identitaire m’était rentré dedans car j’avais dessiné leur fanion. Ça s’était emballé sur les réseaux sociaux en disant « c’est de la diffamation, je pourrais porter plaine ». J’ai vérifié : le droit à la caricature est là. Au début, quand on n’a pas beaucoup d’abonnés, on peut se permettre plein de choses, maintenant, c’est un peu plus difficile.
Maintenant que tu as davantage d’abonnés, vérifies-tu tes anciens dessins ?
Non, et de tous ceux que j’ai faits, il n’y a pas de risque. Ils sont moins durs que ceux de Charlie Hebdo par exemple.
Comment es-tu retrouvé à Toulouse pour ce week-end ?
Grâce à l’association Arc-en-Ciel qui m’a contacté il y a de nombreux mois, pour préparer la conférence du 16 mai. C’est la deuxième fois que je pars en vadrouille en France. Mon caractère n’est pas Star System du tout, mais cela me fait vraiment plaisir de croiser en vrai les gens qui me suivent virtuellement. Je n’amène pas Siri (mon chat), au grand regret des fans.
Je profite de la présence de Matthieu qui t’accompagnes pour lui poser une question. Tu travailles à Arc-en-Ciel. Est-ce toi qui as pensé à l’inviter ?
En septembre-octobre, j’y pensais car je suivais déjà beaucoup son travail avec la Manif pour tous, où il était très productif. J’ai vu qu’il se déplaçait aussi pour des projets, et donc je l’ai contacté. Après, avec les attentats à Charlie Hebdo, sa venue avait une nouvelle symbolique avec la liberté d’expression du métier de dessinateur.
Nawak, y a-t-il dans ton approche une différence entre avant ces attentats, et aujourd’hui ?
Non, j’ai l’impression que c’est déjà loin derrière nous. Après des petits heurts sur les réseaux sociaux, on voit que l’esprit de Charlie est en train malheureusement de s’étioler progressivement. Même pour quelqu’un qui à mon niveau n’a pas la même médiatisation que les artistes de Charlie Hebdo, quand on a les amis qui s’inquiètent, quand ses parents demandent de lever le pied sur certains sujets, il y a un après quand même. On prenait peut-être moins au sérieux le travail de dessinateur avant le 7 janvier. Maintenant, on continue de dessiner.
As-tu des modèles ?
Oui : Cabu, Charb, Luz. J’ai été biberonné à Charlie Hebdo depuis que j’ai 14 ans. J’ai fait mes débuts de militants avec ce journal. Après, il y a tous les dessinateurs de Fluide Glacial, et Le Canard Enchaîné. Et la BD a commencé avec Le Journal de Mickey beaucoup plus jeune, mais pour le dessin politique, le modèle est Charlie Hebdo.
Un de tes dessins a fait polémique, tu t’en es expliqué. Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas comprendre un dessin.
Très honnêtement, je ne le comprends pas non plus. J’ai été surpris par la violence du débat.
Je te coupe, car je ne pense même pas que c’est un « débat »
Oui, c’était un vrai dogpilling (ndlr : lâcher de chiens). Je savais que le dessin était dur car j’ai mis deux semaines à le faire. Généralement, ce genre d’illustration est faite en 5-6 heures. C’était surtout en réaction envers Catherine et Liliane, qui pour une blague d’un goût absolument douteux, s’en étaient pris plein la gueule. Ça ne remet pas en cause la nécessité d’avoir des luttes contre toutes les formes de discriminations, mais certaines attitudes sont inefficaces. J’ai parfois l’impression qu’il y a une course à la victimisation, à la reconnaissance d’une cause, qui pousse les gens à s’enfermer dans une logique de clan, à refuser même des alliés. On m’a dit que j’étais un « homme cis blanc », et que je n’avais rien à dire. On n’est jamais aussi bien poignardé que par son propre camp. Je dessine beaucoup moins depuis, car ce genre de comportement donne envie de baisser les bras. Mais, je suis têtu, Breton à la base, ça ne m’a pas empêché pas de redémarrer. Et j’ai suffisamment d’amis dans le monde associatif pour que mon téléphone personnel sonne si je dérape, et ce ne sera pas sur un réseau social qu’on m’engueulera.
Est-ce que tu montres à quelqu’un tes dessins avant publication ?
Non. Les plus difficiles, je les montre à mon copain, qui dit « tu vas te faire des amis » mais je le publie quand même. Quand je fais revoir le dessin, c’est que généralement, j’ai un doute. Deux n’ont pas été publiés : un parce qu’on ne peut pas se moquer de tout et le second car il aurait été mal interprété, et aurait pu être réutilisé à mes dépends.
Ma question était aussi dans le sens de tester l’effet comique de ton dessin.
Généralement, même mon copain les voit après, sauf quand je suis très fier de l’un d’eux.
Qu’est-ce qui te fait le plus plaisir dans ce métier ?
Ce sont les échanges, quand je croise en vrai des gens que je ne connais que via internet : rencontrer Matthieu avec qui j’échange depuis plusieurs mois, aller à Lille pour parrainer la Gay Pride. J’ai toujours eu l’âme militante, et là, au moins, je vois que mes dessins servent à quelque chose. Ils touchent, font réagir : c’est la meilleure des reconnaissances. Je reçois parfois des mails qui me serrent le cœur, « ton dessin m’a fait du bien parce que… » et là, j’ai un long texte d’une tranche de vie.
De quoi es-tu le plus fier?
D’avoir fait mon premier livre. Je suis un grand feignant, je suis donc très fier d’avoir tenu, car j’ai le caractère à commencer les choses et à rarement les finir. J’ai fait un bouquin, qui s’est même bien vendu. J’ai une chance du tonnerre d’avoir un métier qui me plaise dans le domaine du handicap, et de m’éclater dans une passion où je dessine ce que je veux. Les circonstances actuelles – beaucoup de dessinateurs ont du talent et peu de journaux font appel à eux – font que je ne pense pas pouvoir vivre de ma passion, mais en attendant, je trouve mon équilibre, même si au niveau timing, c’est éprouvant. La pause midi, c’est 20 minutes pour manger, 40 minutes pour dessiner. Je suis à flux tendu la plupart du temps, et j’ai la chance d’avoir un copain compréhensible, qui me remet dans le droit chemin quand j’en fais trop. Je serais capable de dessiner tout le temps.
As-tu un rituel pour dessiner : un lieu, une heure ?
Pas du tout, mais quand j’ai une idée, il faut que je la mette sur papier rapidement. Si le dessin n’est pas fait dans les 24h, il ne sera jamais fait, comme ce fameux dessin dont nous parlions tout à l’heure.
Si un futur dessin te prend plus de 24 heures, te diras-tu « oula, la dernière fois, ça ne m’a pas porté chance, j’arrête » ?
En fait, l’erreur que j’ai faite avec ce dessin est de l’avoir retiré. J’aurais dû l’assumer. Je n’ai pas la carrure d’un dessinateur de Charlie Hebdo, mais comme disait quelqu’un dans un commentaire « Jamais aucun dessinateur de Charlie ou de Fluide Glacial ne s’est justifié en précisant qu’il avait voulu dire que… ». Le dessin, on le poste, on l’assume. J’ai voulu mettre les points sur les i, car choquer la Manif pour tous, choquer les énervés du Front National, je m’en tape, mais heurter des gens censés partager un idéal de société moins discriminante, c’est autre chose. Visiblement, le texte de mise au point n’a servi à rien, au contraire.
Samedi 16 mai, tu participes à la Bibliothèque Vivante à la Médiathèque Cabanis
Oui, en tant que livre, je serai le Croqueur de haine, j’ai mis un temps fou à trouver ce titre. C’est une première pour moi. Le plaisir est là. Je me déplace pour les Gay Pride en France, mais jamais je ne serais dit il y a deux ans que je me retrouverai à Toulouse pour ce type de rencontre ! J’ai fait ma première dédicace au centre LGBT de Paris. C’était un défi de me retrouver face à une quarantaine de personnes, avec leur livre en main. On s’est aperçu que les gens tenaient au travail de Nawak. Je parle de moi à la troisième personne car c’est un personnage : c’est une version dessinée, romancé, caricaturé de moi. Comme Siri ne parle pas, ne fait pas de politique, et ignore le succès qu’elle a sur internet : les gens qui me rencontrent m’offrent des paquets de croquettes ! C’est ahurissant !
Tes projets ?
Le prochain livre devrait sortir d’ici fin mai, il s’intitule La France Rose & Bleu ne lâche rien. Je n’avais pas prévu de faire un deuxième tome aussi vite, mais j’avais envie de dépasser la Manif pour tous en fait, en partant du postulat que ce n’est qu’une pièce d’un puzzle, bien plus complexe qu’on l’imagine. Il y a une droite réactionnaire qui est en train de reprendre vie en France, l’extrême droite se réinvite au débat, il y a une église politique qui retente de reprendre la main sur des sujets sociétaux comme IVG, la loi sur l’euthanasie. Ce livre parle donc de la droite réactionnaire avec son admiration pour le patriote Poutine. Le mariage pour tous a été l’étincelle qu’ils attendaient, mais qu’au delà, il y a vraiment une tentative de reconquête sociétale, politique, culturelle. On le voit avec des personnages comme Zemmour et le succès de son livre. Je trouve que l’avenir est sombre pour les minorités dans leur ensemble. On en revient au dessin qui a fait débat : ma cause n’est pas plus importante que celle des autres, mais nous luttons de manière trop dispersée. Avec l’abandon de la PMA, on a vu que les lesbiennes n’ont pas été soutenues par les homos, ou très peu. Pareil pour le droit des trans qui s’est perdu entre deux Manif pour tous. Les combats féministes ne sont relayés que par les féministes. Le droit à la fin de vie, le droit à l’IVG, même le droit pour des hétéros de baiser peinard, c’est pareil : chacun combat de son côté, alors qu’eux avancent unis avec un projet de société clé en main, et je pense que toutes les luttes que nous sommes en train mener risquent de se faire balayer de la même façon si ces gens-là prennent le pouvoir un jour. Ça va bien au delà de la cause LGBT. Il y a un danger que je considère grave et imminent. Le jour où ça va nous tomber dessus, il n’y a pas que les personnes LGBT qui vont souffrir. Le retour d’une bonne morale teintée d’hypocrisie, c’est ça qui est le plus gênant.
Autres infos sur Nawak (et son chat Siri !)
Son livre ‘La France Rose&Bleu’
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