Bengali ou hindi, la diversité du cinéma indien se déploie sur l’écran de la Cinémathèque de Toulouse au cours d’un cycle intitulé «Panorama des cinémas d’Inde» où se côtoient films d’auteur et grands mélodrames.
Des années cinquante à aujourd’hui, vingt neuf films sont projetés à la Cinémathèque de Toulouse pour dresser un «panorama des cinémas d’Inde». Retrouvant les cinéastes reconnus et dévoilant des artistes plus confidentiels, films d’auteur et grands mélodrames se côtoient dans cette sélection. Lorsque l’Inde acquiert l’indépendance en 1947, l’industrie du cinéma connaît une période de prospérité durant la Seconde Guerre mondiale, à la suite de l’autonomie de certaines administrations dès les années trente – les films jusqu’alors interdits sont désormais visibles.
Les plus grandes sociétés de productions sont installées à Bombay, mais Calcutta et Madras regroupent également de nombreuses firmes. Le formatage imposé par les producteurs et les distributeurs se développe : stars, danses et chansons deviennent indispensables à tout film d’amour ou d’aventure. Les années cinquante sont le berceau de l’éclosion du star-system, et les cachets des vedettes s’emballent à Bollywood – terme désignant les films commerciaux tournés en langue hindi.
En marge de l’industrie, le premier film indien sans chansons ni danses fait son apparition, en 1954: « le Petit fugitif » (Munna), écrit et réalisé par Khwaja Ahmad Abbas. Également producteur, ce dernier lance la carrière de cinéaste d’un acteur jouant dans des films populaires : Raj Kapoor. Le beau succès commercial remporté par son film « le Vagabond » est aussitôt suivi de « Shree 420 » en 1955. Dans la lignée des œuvres de Kapoor, apparaît alors un cinéma d’auteurs indiens irrigué de préoccupations sociales. Au même moment, le fameux Satyajit Ray signe à Calcutta son premier film, « Pather Panchali » (la Complainte du sentier). Il est tourné en langue bengali comme la totalité de sa filmographie. C’est le début d’un long parcours placé sous le signe de l’exigence artistique, faisant de Ray le cinéaste emblématique du cinéma d’auteur indien. Sa reconnaissance internationale fut couronnée par un Oscar décerné à Hollywood en 1992, quelques semaines avant sa mort.
«Tout au long de ses trente-cinq films, Satyajit Ray n’a jamais cessé de répéter, un peu à la manière de Tchekhov : “Messieurs, comme vous vivez mal !” Il dénonce l’obscurantisme et la superstition du vieux monde. Mais aussi la corruption du monde moderne. En fait, il a été l’homme d’une époque qui n’était pas tout à fait la sienne, mais qui l’a marqué si fort au cours de son enfance qu’il n’a jamais pu l’oublier. Cette époque est celle de la Renaissance bengali. Elle avait commencé au milieu du XIXe siècle. Elle s’est achevée avec l’indépendance. Son chantre en fut Tagore, le poète. Or, Tagore était un ami du grand-père et du père de Satyajit Ray», rappelait Claude-Marie Trémois dans Télérama.
«La Renaissance bengali, ce ne fut pas seulement une explosion artistique, mais aussi philosophique, politique et religieuse. Dans « Charulata » (photo), Satyajit Ray a dépeint cette période où les intellectuels s’ouvraient à des idées qu’on n’appelait pas encore de gauche, mais étaient libérales et généreuses. On rêvait de libérer l’Inde de la domination anglaise. On rêvait aussi d’abolir les castes, et de faire de la femme l’égale de l’homme.»
«Satyajit Ray est un poète. Un passeur entre l’invisible et le visible. Ses plus beaux films (« Pather Panchali », « L’Invaincu », « Le Monde d’Apu », « Le Salon de musique », « Charulata ») sont ceux où le poète l’emporte sur le moraliste, où l’essentiel se lit dans un regard, dans le tremblement d’un lustre, dans une pierre qui se délite, dans des bambous agités par le vent. Entre la poésie pure des premiers films et le classicisme un peu désabusé des derniers, il y a eu le temps de la révolte, de la critique sociale, les tentatives “hollywoodiennes”, les films pour enfants. Satyajit Ray voulait s’essayer à tous les genres.»
«Son premier maître fut Renoir, qu’il rencontre au moment du « Fleuve » et qui lui insuffla le courage de se lancer dans l’aventure de « Pather Panchali » en 1955. Mais il en a eu d’autres. Il aimait Kurosawa, nourri, comme lui, de culture occidentale. Il aimait Ford. Il aimait les humanistes. Jusqu’en 1981, il a tourné régulièrement un film – parfois deux – par an. Puis seulement quatre en dix ans, à cause de son cœur malade. Des films essentiellement psychologiques où, le plus souvent, il a laissé parler le silence et nous a laissé lire l’indicible sur les visages de ses héros – et surtout de ses héroïnes», constatait Claude-Marie Trémois.
Les films de Satyajit Ray ont encouragé l’émergence de plusieurs réalisateurs d’avant-garde, parmi eux Ritwick Ghatak. Dans « Komal Gandhar », celui-ci décortique les doutes d’une troupe de théâtre qui cherche de nouvelles formes en adéquation avec l’engagement politique de ses membres au lendemain de l’indépendance et de la partition du pays. Tourné en 1961, le film est le reflet de l’implication du cinéaste dans l’Indian People Theatre Association (IPTA), mouvement actif dans les années cinquante pour la défense d’un théâtre radical. De Ghatak, la Cinémathèque de Toulouse montrera également « Raison, illusion, histoire – Raison, discussion et un conte » (1974), film en forme d’autobiographie autocritique relatant l’errance d’un intellectuel bengali noyant ses illusions et ses lâchetés dans l’alcool, et s’interrogeant sur l’avenir de l’Inde et du Bangladesh.
Jérôme Gac
du 2 au 31 mai, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.
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