Daria Khoroshavina est Moscovite. Il y a six ans, elle était professeure d’anglais. Il y a cinq ans, elle décida de quitter son emploi et de consacrer sa vie à ce qui comptait vraiment. Depuis trois ans : elle est photographe de mode et portraitiste.
Parce que la photographie est, véritablement, ce qui compte pour elle, Daria Khoroshavina alimente un blog de vacances, où elle collecte les photos qu’elle prend quand elle ne travaille pas : http://butteryplanet.tumblr.com/
Vous n’y verrez aucun panorama maritime ou selfies aux sports d’hivers. Le blog propose des scènes de cuisine essentiellement ordinaires, mais formellement perturbées par le langage atypique de leur auteur.
En fait, Buttery Planet est un projet d’artiste si simple qu’il fallait du génie pour le concevoir.
Il ne se compose pas de photographies stricto sensu, mais de « cinemagraphs », néologisme composé des mots « cinema » et « photographs ». Autrement dit : de photos animées.
Dans cette entreprise, tout se joue à un détail près. De prime abord, il s’agit de natures mortes classiques, jusqu’à ce que : un nuage de lait perce discrètement la surface d’une tasse. Une goutte d’eau s’échappe d’une passoire. Une herbe tremble brièvement au bord d’un cadre.
Ces mouvements infimes se répètent à l’infini, recréant la constance narrative dont les œuvres s’étaient émancipées grâce au mouvement initial. C’est un travail en ellipse : on ne quitte la photographie que pour mieux retrouver sa vraie nature: la rémanence d’une perception.
Buttery Planet est peut-être un blog de vacances, mais son contenu est l’incarnation du pop-art : capable d’exprimer la matière contemplative d’objets quotidiens en usant de techniques issues de la culture de masse (ici, le gif).
Le résultat est hypnotique, et on se surprend, progressivement, à ressentir des émotions très excessives au regard des sujets qui les inspirent.
Par la qualité méditative de ses cinemagraphs et leur hyper-sensibilité, Daria Khoroshavina, photographe autodidacte éduquée à son art sur internet, réussit une prouesse : celle de rendre une simple tasse de thé, une banale orange, profondément émouvantes.
Quatre questions à Daria Khoroshavina :
Par leur fonctionnement même, vos cinemagraphs interrogent le rapport au temps d’objets et de situations très domestiques. Peut-on parler d’une philosophie du quotidien ?
J’aime beaucoup quand quelqu’un me dit qu’il a passé du temps à observer mes cinemagraphs. Cela signifie que nous avons bien fait les choses (Daria Khoroshavina collabore avec Olga Kolesnikova, à la préparation des compositions). Ce que je veux faire, c’est capturer un moment, et faire durer éternellement quelques secondes de beauté. Bien sûr, c’est presque la même chose en photographie pure, mais les éléments mouvants rendent les cinemagraphs plus attirants, divertissants et mémorables, je crois.
Vos cinemagraphs associent la photographie culinaire classique à l’hypersensibilité et la profondeur de l’art contemporain. Pour vous, existe t-il encore une opposition entre ces deux pôles, ou la notion de « high art » est-elle révolue ?
Je ne me revendique pas photographe culinaire. Nous utilisons la nourriture dans nos compositions comme éléments d’appel, mais ce n’est pas seulement de la nourriture que je dépeins. Nous essayons de créer des scènes qui racontent des histoires -que ce soit un dimanche matin d’hiver avec un chocolat chaud, ou une réception estivale autour d’une sangria, ou simplement la préparation d’un repas du midi en famille : c’est l’atmosphère qui compte. Je ne vois pas d’opposition : c’est bien de mélanger les deux.
Y a t-il une chose que les gens devraient savoir sur votre travail et que vous aimeriez leur dire ?
Nous avons créé ce site il y a trois mois, nous avons montré ce dont nous sommes capables, développé un style et un concept. Maintenant, nous recherchons des gens passionnés avec lesquels collaborer : des critiques culinaires, des scénographes, des blogueurs, des cuisiniers enthousiastes. Nous voulons raconter plus d’histoires, sortir de notre studio et apporter de la magie dans d’autres cuisines.
Pourriez-vous nous donner l’un de vos sites web favoris ?
Je pense à un site génial, https://rijksmuseum.nl. Vous y trouverez des clichés de peintures anciennes de grande qualité. J’y fait souvent des recherches de natures mortes, pour apprendre leurs couleurs, leurs éclairages et leurs compositions : c’est tellement inspirant.
Eva Kristina Mindszenti