Dans le cadre de la vingt-quatrième Semaine Polonaise, « Volkantornado » est un hommage réjouissant au metteur en scène Tadeusz Kantor présenté à la Fabrique culturelle de l’Université Jean Jaurès.
Dans le cadre de la vingt-quatrième Semaine Polonaise consacrée à Tadeusz Kantor et à l’occasion du centenaire de sa naissance, la compagnie Pollen propose à la Fabrique culturelle de l’Université Jean Jaurès un spectacle réjouissant, créé lors du dernier festival Universcènes. « Volkantornado », un titre en forme de mot valise où, entre volcan et tornade, s’est glissé le nom du maître de l’avant-garde théâtrale : Kantor. C’est un bien bel hommage que rend la metteuse en scène polonaise Katarzyna Kurzeja à celui qui s’éteignit en 1990, après avoir créé au Théâtre Garonne son ultime spectacle, « Aujourd’hui c’est mon anniversaire ».
Kasia Kurzeja s’est entourée d’une dizaine de comédiens amateurs – dont certains mettaient pour la première fois les pieds sur scène – pour élaborer un spectacle, façon laboratoire, inspiré de l’esthétique et de l’œuvre de Kantor et de sa troupe Cricot 2. Une création tissée à partir de l’héritage de cet artiste total (peintures, installations, scénographies, happenings, musiques), auquel ils ont injecté des éléments de leur personnalité et de leur vécu. Les interprètes ont ainsi modelé avec leur metteuse en scène un spectacle très fort, visuel, gestuel, chorégraphique, quasiment dépourvu de dialogues.
Dans un noir absolu, une silhouette avance, torche lumineuse en main sur la passerelle de service du théâtre. Elle descend par une échelle et s’installe sur la scène, derrière une console. Les premières notes du « Boléro » de Ravel commencent alors à s’élever lorsque d’une tombe émergent, un à un, trois hommes revêtus de complets noirs poussiéreux et coiffés de chapeaux melons. Hagards, comme sortis du passé, ils prennent place parmi les rangs composés de mannequins et de jeunes femmes à la même posture statique et au même regard vide.
Dans une scénographie aux tonalités sombres et à l’ambiance sonore faite de grincements, des objets du quotidien et des jouets usés par le temps – comme ceux qu’affectionnait Kantor – côtoient des mannequins inanimés et des vêtements tombant des cintres, aux allures étrangement humaines. On reconnaîtra au passage une relecture de « la Classe morte », pièce mythique de 1975 appartenant à ce que son créateur appelait «le théâtre de la mort». On reconnaîtra aussi des images évoquant son attachement profond aux surréalistes, ou encore son dialogue éternel avec ses compatriotes polonais tels Bruno Schulz et S.-I. Witkiewicz.
Au cœur de ce chaos convulsif et régressif, la délicate présence physique de la metteuse en scène restitue l’esprit des représentations de Cricot 2 telles qu’elles avaient lieu lorsque le maître, immanquablement assis dans un coin du plateau sur une chaise, veillait ou intervenait sur le déroulement de sa pièce. « Volkantornado » fait surgir des scénettes muettes qui s’enchaînent tel un cadavre exquis, dans une bouffonnerie absurde où le grotesque le dispute au tragique.
Si les comédiens, ainsi que Kasia Kurzeja elle-même, n’ont pas connu comme Kantor ni la Seconde Guerre mondiale et l’occupation nazie ni le joug communiste, la pièce laisse filtrer, à qui y est sensible, l’histoire douloureuse de la Pologne. L’infantilisation, la manipulation, la surveillance paranoïaque et absurde d’un peuple, le bâillonnement de la liberté d’expression y émergent au travers de scènes cocasses, surréalistes et désarticulées, rythmées par des musiques de fanfare, répétitives, sur lesquelles des personnages uniformisés marchent en cadence, dansent de façon désordonnée, mangent des chaînes, accouchent de cailloux ou jouent à une pétanque macabre. Le clownesque et le mortifère vont main dans la main, tels des jumeaux, et il y a là du rire qui vous serre le cœur.
Avec ses comédiens aux qualités de jeu complémentaires, la compagnie Pollen nous donne à voir un moment de théâtre attachant, humble, profondément humain, à la fois ludique et intelligemment pensé. Au delà de l’hommage au metteur en scène dont le travail s’ancrait dans une autre réalité politique polonaise, ce théâtre résonne toujours aujourd’hui, laissant sourdre les dérives de notre temps et nos angoisses existentielles exacerbées par une société anxiogène. Et puis, une fois le noir retombé et les personnages disparus un à un, comme retournés dans le souvenir, le chef d’orchestre ayant quitté la scène en empruntant le même chemin qu’à l’arrivée, reste la sensation d’avoir assisté à un rêve étrange : comme si le fantôme de l’artiste était de retour à Toulouse, le temps d’une soirée…
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
« Volkantornado », mardi 14 avril, 19h00, à la Fabrique culturelle,
Université Toulouse Jean Jaurès, 5, allée Antonio Machado, Toulouse. (Entrée libre)
Dans le cadre de «Kantor, portrait multiple», Semaine Polonaise, du 13 au 17 avril,
à Toulouse.
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photo © Jean-Pierre Montagné
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