Opéra – Théâtre Regio de Parme/Cinéma UGC de Toulouse (rediffusion)
Macbeth – Giuseppe Verdi – jeudi 12 mars 2015
Giuseppe Verdi est âge de trente-quatre ans lors de la création de Macbeth, qui survient le 14 mars 1847 à Florence. Au milieu de ses » années de galère « , le musicien italien, aidé par le librettiste Piave, entreprend une première adaptation de l’oeuvre de Shakespeare, compagnon de route fidèle qui l’accompagnera jusqu’aux derniers sommets de sa carrière, Othello (1887) et Falstaff (1893). L’argument de Macbeth débute en Ecosse, au coeur d’un bois sauvage, où des sorcières se racontent mutuellement leurs sinistres exploits. Surviennent Macbeth et son ami Banco, qui rentrent de la guerre auréolés de gloire. Les magiciennes annonçent à l’un qu’il deviendra roi, et à l’autre que sa descendance règnera sur l’Ecosse. Mise au courant, Lady Macbeth adjure son mari de hâter le présage en assassinant le roi Duncan, qui arrive pour passer la nuit au château de son vassal. D’abord hésitant, Macbeth se laisse finalement convaincre, et pénètre dans les appartements royaux, dont il ressort hagard, les mains ensanglantées. Alors que Lady Macbeth tente de lui faire reprendre ses esprits, Banco, accompagné de Macduff, un noble écossais, vient réveiller le roi. Le meurtre est révélé, provoquant l’horreur générale.
Le deuxième acte voit Macbeth, désormais roi, ordonner le meurtre de Banco et de ses fils pour tenter de forcer le destin. Dans un parc proche du château, le père est poignardé traîtreusement, mais l’enfant parvient à échapper à ses assaillants. Au cours d’un banquet donné par le nouveau couple royal, l’un de meurtriers informe discrètement Macbeth du résultat de l’entreprise. Revenant près des invités, le roi croit aperçevoir le spectre de Banco, et plonge dans le délire. Lady Macbeth tente de faire diversion, mais les convives, troublés, préfèrent s’éclipser.
Au troisième acte, Macbeth retourne consulter les sorcières. Elles lui affirment que nul homme né d’une femme ne pourra le tuer, et que son règne perdurera tant que la forêt de Birnam n’avancera pas jusqu’aux murs de son château. Elles lui prédisent également à nouveau que le trône reviendra à la dynastie de Banco. Macbeth s’évanouit. Reprenant connaissance auprès de sa femme, il décide de raser la demeure de Macduff, exilé en Angleterre auprès de Malcolm, fils de Duncan, et de massacrer sa famille.
Le quatrième et dernier acte s’ouvre sur le désespoir de Macduff, qui pleure sa femme et ses enfants assassinés par les hommes du roi. A ses côtés, Malcolm et l’armée en révolte jurent vengeance. Ils marchent sur le château de Macbeth. Dans ses appartements, Lady Macbeth, prisonnière d’un rêve somnambulique, revit tous les crimes commis au nom de son époux. Solitaire, Abandonné par ses alliés, ce dernier médite sur la vanité du pouvoir et l’absurdité de l’existence. On lui annonce la mort de sa femme. Au-dehors, la forêt de Birnam s’est mise en mouvement. Un combat désepéré s’engage, au cours duquel Macduff rencontre Macbeth et lui fait une ultime révélation : arraché du ventre de sa mère à la naissance, il n’a pas vu le jour par des voies naturelles. Macduff tue Macbeth, Malcolm est proclamé nouveau roi d’Ecosse.
La partition de Macbeth est émaillée de fulgurances, qui annoncent à grands traits les chefs-d’oeuvre verdiens de l’avenir. Quelques années plus tôt, les esclaves hébreux de Nabucco et les conjurés d’Ernani avaient mis en lumière la prodigieuse habileté déployée par Verdi dans le maniement des masses chorales. Ici, le futur » cygne de Busseto » administre les preuves de son savoir-faire avec une maestria inédite. Le joyeux choeur des sorcières au premier acte ; le chant de détresse du peuple écossais, ponctué de graves abyssaux, au troisième ; la victoire des conjurés et le désarroi des vaincus au quatrième : autant de festivals sonores, où les lignes de chants s’entremêlent en un tourbillon d’harmonies qui jamais ne vire au chaos, mais progresse, imperturbable, jusqu’à la dernière note, recueillie ou tonitruante. Les rôles principaux ne sont pas négligés, loin s’en faut, et leurs interprètes doivent surmonter des difficultés bien réelles : Les récitatifs de Macbeth, solennels et tourmentés, recquièrent une projection sans faille et une véritable intensité dramatique ; Lady Macbeth, quant à elle, affronte dès son entrée en scène un grand saut d’intervalles qui met son ambitus et son agilité à rude épreuve, avant d’enchaîner, tout au long des actes suivants, les aigus les plus délicats, destinés à surplomber le fortissimo des choeurs et de l’orchestre. En guise d’introduction, Alain Duault précise opportunément que » dans le couple Macbeth, c’est elle qui dirige « . Le mari est l’exécutant velléitaire des basses intrigues de la femme, qui recadre à plusieurs reprises un époux fragile, placé au bord du précipice. Les deux magnifiques duos suivant l’assassinat de Duncan et précédant le meurtre de Banco viennent confirmer cet état de fait. Le rôle de Lady Macbeth ne peut donc être confié à la première venue. Il exige une parfaite maîtrise vocale en même temps qu’un sens aïgu de la tragédie.
La distribution, réunie sur la scène du théâtre parmesan en 2006, est à la mesure de l’événement musical : Dans le rôle-titre, Leo Nucci, tout en noirceur, dompte sans efforts apparents une partition barytonale que l’on pourrait croire écrite pour lui. Le chanteur est irréprochable, mais l’acteur est un brin monolithique par instants. Il faut préciser à sa décharge que, dans Macbeth, le couple Verdi-Piave n’est pas encore en osmose parfaite, et que la tension du livret, brillament illustrée musicalement, ne rejaillit pas toujours à l’état brut sur la scène. A contrario, le soprano française Sylvie Valayre compose une Lady Macbeth confondante de vérité : Il faut la voir au premier acte, toute vêtue de noir, coiffe de jais et lèvres rouge-vif, persécuter, dans un numéro de sadisme haut en couleur, le malheureux diablotin bariolé à queue de rat, affligé de nanisme, qui lui sert de souffre-douleur. Machiavélique, elle fait appel, par la suite, à une sensualité authentiquement démoniaque pour persuader son mari de supprimer la menace incarnée par Banco et sa descendance. Au quatrième acte, Sylvie Valayre pénètre dans le domaine de la folie avec un sens du réalisme poignant. La voix manque parfois de souplesse dans le passage, mais la puissance est là, et il serait bien outrancier de demander davantage à une artiste atteignant ce degré d’implication dramatique. Enrico Lori est un Banco austère et impressionnant. Son timbre rappelle de manière troublante celui de Nicolaï Ghiaurov. Au rayon des ténors, Roberto Luliano délivre une excellente prestation en Macduff, malgré des aigus un peu comprimés, et Nicola Pascoli incarne un Malcolm discret, mais de belle prestance.
Dans la fosse, Bruno Bartoletti conduit ses troupes avec une assurance de tous les instants. Mention spéciale aux cordes, particulièrement sollicitées, qui délivrent une palette de nuances autoritaires mais subtiles. La mise en scène de Liliane Cavani ne présente que deux traits véritablement originaux : Dans l’ombre des comédiens, un parterre de spectateurs attentifs constitue une mise en abyme de l’action théâtrale destinée à souligner la dimension moraliste de l’ouvrage ; par ailleurs, les » sorcières » apparaissent ici sous la forme d’un banc de commères réunies autour d’un lavoir, qui, à l’approche de Macbeth, plongent dans une transe extatique afin de ranimer leur fluide. On est bien loin, assurément, des brumes angoissantes d’Orson Welles ! Les prédictions funèbres relèveraient-elles du ragot de village ? La suite de l’opéra vient vite répondre par la négative… La réalisation italienne, qui multiplie les travellings et les gros plans superflus, n’est certes pas des plus adroites. Mais la qualité globale du spectacle, qui date déjà de près de dix ans, incite tout de même à l’indulgence.
Alexandre Parant