Exposition de Vincent Fortemps à Centre Culturel Bellegarde
Installation par les sillons
Après de magnifiques expositions à Ombres Blanches et au théâtre Garonne, c’est dans le bel écrin du Centre culturel Bellegarde à Toulouse que notre dessinateur-performer belge a posé ses dessins et ses fragments d’inquiétude. Avec sa gentillesse presque enfantine et son merveilleux sourire, il n’a certes pas voulu donner des explications, car la seule vérité est dans le dessin, mais nous suggérer son univers encore si marqué par les Ardennes. Lui, il s’est réfugié au soleil des Pyrénées-Orientales, mais comme une écharpe de brumes il porte en lui ce monde que l’ami Jean-Claude Pirotte avait si bien restitué lui aussi (Pluie à Rethel).
Et par une performance avec Jean-François Pauvros (guitare électrique) et sa drôle de machine qui permet de suivre ses combats, ses repentirs, ses errements, ses trouvailles, le tout projeté sur grand écran, on a le sentiment de suivre les improvisations, la gestation de l’artiste.
Un public nombreux retenait son souffle devant le vent de l’esprit qui semblait souffler.
Griffures, corps à corps avec la matière, effacements et recréations, déchirures, jets de matière et d’eau, il faut tout cela pour laisser entrevoir un monde fragile et fugace qui s’efface à peine apparu.
Ce lutin habité partout un monde incertain est un être multiple :
Vincent Fortemps est un auteur et éditeur de bande dessinée, belge.
Il est aussi musicien, photographe, graphiste. Il est né en 1967, et passe toute son enfance dans un village du Brabant wallon. Là où se pendent les canaux dans des cieux si bas ?
Et au départ il n’était pas un dessinateur de bandes dessinées, mais plutôt porté vers l’illustration sur gravure, et puis il va donner un sens à ces planches qui semblaient pouvoir rester autonomes, et qui deviennent narratives suivant leur rassemblement, leur montage.
Singulier est le chemin pris par Vincent Fortemps. Il nous mène très loin, près des frontières de l’innommable, de l’indicible.
Avec pour simples balises pour ces « voyageurs sans voyage », ses gravures écrites sur les écorces de nos vies.
Ce qui relie tout cela est l’immense espace des silences. Et une image de Vincent Fortemps ne se livre pas simplement, il faut l’apprivoiser, l’adouber, la découvrir dans toute sa profondeur.
Toute la tension qui a conduit à cela se perçoit comme répliques de tremblements telluriques.
Il nous faut la ressentir également et suivre le parcours de ce récit, de cette histoire, montée par strates par la suite des images, jusqu’à notre imaginaire.
Cette poésie des images, comme rosée violente ou flottante, comme fossiles d’un temps très ancien, fait que le travail de Vincent Fortemps est unique et touche au plus profond.
D’où vient la force de l’émotion qui nous submerge en voyant ses dessins ?
Les dessins de Vincent Fortemps nous étreignent et infusent en nous.
Ses dessins sont comme des actes de vigilance face à un monde en lambeaux. Griffures après griffures, il résiste pied à pied contre l’oubli, dans l’espace de sa main. Toutes les vies fugitives, entr’aperçues parfois dans ces tableaux, semblent en partance dans un monde en pente.
Et elles nous parlent de la mémoire d’avant la mémoire, de tous les noms effacés par les guerres, les meurtres, et la nuit obstinée qui nous pousse dans son ombre.
Ses dessins qui respirent encore la matière de façon frontale, palpable, témoignant de la violence de leur conception, sont traversés de paysages ravagés par la guerre, hantés par les fantômes des soldats ou des hommes perdus, rappelant les néants de Velickovic. Mais bien d’autres apparitions, maintes disparitions, sont aussi présentes, comme des mers déchaînées, des poissons hallucinés, des oiseaux maléfiques, des bateaux à jamais échoués.
Le monde de Vincent Fortemps porte en lui ses voies nocturnes, et pareillement étranges sont les sentiers nocturnes de ses dessins. Et son univers, par les sillons, les barques et les tranchées de la mémoire, est empli de zébrures, de paysages noircis par les silences des mots figés en nous. Dans ce monde aux aguets, immobile ; entre brouillard et indifférence, Vincent Fortemps se bat. Il sort les griffes de ses outils, il fouille la terre des souvenirs, il gratte la matière pour lui faire rendre gorge.
Tout semble fragments, et pourtant tout se répond. Il avance entre transparence et opacité par pulsions et intuitions, par strates et profondeur vertigineuse de l’image. Ce ne sont pas des dessins, car sans cesse jusqu’à la phase finale incompressible, l’aspect change, évolue sous ce qui se révèle peu à peu, s’efface aussi soudain. Vincent Fortemps est un sculpteur de silence qui, par le geste, l’action vitale, retrouve les traces des sentiers immémoriaux, hantés. Son imaginaire, qui souvent le surprend lui-même, devient le nôtre. Il veut réaliser ce qu’il appelle « une mise en vie. »
Il y a dans son œuvre comme une étreinte de l’ici-bas, si loin des lointains en marche sur la peau froide du monde, chez lui le ciel est sur terre, un ciel de traîne lourd des dires des choses et des lieux, de tout ce qui surgit quand la réalité poreuse se frotte à nous, elle pauvre chat errant et mendiant qui nous regarde.
Les brouillards débordent et montent, insensiblement, inexorablement, comme dans les planches faites pour le livre Par les sillons.
Singulier est le chemin pris par Vincent Fortemps. Il nous mène très loin, près des frontières de l’innommable, de l’indicible.
Avec pour simples balises pour ces « voyageurs sans voyage », ses gravures écrites sur les écorces de nos vies.
Les dessins deviennent alors des empreintes et des traces de l’âge de verre, de l’âge des rêves accomplis. Un récit vient juste de commencer sous nos yeux. Vincent Fortemps se fait l’archéologue du futur avec la mémoire de la matière qu’il a fouaillé jusqu’à l’intime.
Plus que le dessin il nous reste les traces. Celle d’un monde dont la mémoire est tout à la fois en noir et blanc et en lumière, mais surtout en sensibilité, en humanité.
Indélébiles demeurent en nous ses dessins, qui deviennent nos visions.
Dans ce déboulé de la condition humaine passent détresse, douleur, mais surtout la solitude et des nuées de silence glacé et immobile.
Le flou crée du mouvement, le vent traverse l’espace et le temps, la pluie mouille la mémoire, et tout vit intensément de la vibration de ses signes.
Vincent Fortemps nous parle d’une voix sombre, mais ce déchirement muet n’est nulle lamentation. Ses dessins sont une lumière que le vent ne peut éteindre.
Ce qui relie tout cela est l’immense espace des silences. Et une image de Vincent Fortemps ne se livre pas simplement, il faut l’apprivoiser, l’adouber, la découvrir dans toute sa profondeur.
Toute la tension qui a conduit à cela se perçoit comme répliques de tremblements telluriques.
Il nous faut la ressentir également et suivre le parcours de ce récit, de cette histoire, montée par strates par la suite des images, jusqu’à notre imaginaire.
Cette poésie des images, comme rosée violente ou flottante, comme fossiles d’un temps très ancien, fait que le travail de Vincent Fortemps est unique et touche au plus profond.
Gil Pressnitzer
Centre culturel Bellegarde à Toulouse
Du 8 janvier au 4 février 2015