Benoît Lambert signe une mise en scène du « Tartuffe » de Molière, présentée ces jours-ci à Toulouse, au Théâtre Sorano, avec le comédien Emmanuel Vérité.
Benoît Lambert est depuis deux ans le directeur du Théâtre de Dijon – Centre dramatique national de Bourgogne. Après « le Misanthrope » en 2006, il poursuit avec « Tartuffe ou l’imposteur » son exploration de l’œuvre de Molière, en étroite collaboration avec le comédien Emmanuel Vérité dans le rôle-titre. Pour le metteur en scène, «au cours de l’Histoire, la comédie de Molière est devenue le symbole du combat contre l’hypocrisie religieuse. Et son personnage central, une sorte de “mauvais génie”, symbole des méfaits de l’obscurantisme et de la superstition. Mais, à bien y regarder, c’est une lecture assez peu charitable. Car la question qui anime le personnage de Tartuffe n’est pas tellement d’ordre religieux : elle serait plutôt d’ordre économique. Tartuffe est un “gueux” – c’est ainsi que Dorine, qui sait de quoi elle parle, le désigne. C’est un aigrefin adroit, un coureur de dot, un détrousseur d’honnêtes gens, qui a simplement saisi tout le profit qu’il pourrait tirer de l’aveuglement d’Orgon.»
Benoît Lambert poursuit : «À rebours des lectures qui veulent faire de lui le symbole malfaisant de tous les fanatismes, on peut alors voir Tartuffe comme un voyou sympathique, séducteur et roublard, un fourbe irrésistible comme les affectionnent la littérature et le cinéma populaires : un genre d’Arsène Lupin déguisé en dévot pour mieux réussir son coup, une crapule charmante dont l’entreprise malhonnête prend des allures de revanche de classe. C’est pourquoi la chute de Tartuffe, son arrestation à la fin de la pièce, ne peut pas être simplement célébrée comme une victoire des forces de progrès : elle ressemble bien au contraire à un sinistre retour à l’ordre.»
Selon le metteur en scène, «au fond, souhaiter la défaite de Tartuffe, fût-ce au nom de la “laïcité”, c’est aussi souhaiter que les gueux apprennent enfin où est leur vraie place. Qu’ils apprennent à respecter la famille, la police et le roi. Et qu’ils apprennent qu’on n’attaque pas impunément les biens des honnêtes gens. Bref, ce qui est sauvé par l’arrestation de Tartuffe, ce n’est pas tellement la liberté de conscience : c’est plutôt la propriété privée. Alors, on pourrait se prendre à rêver que l’Imposteur réussisse son coup, qu’il parvienne à faire vaciller la distribution admise des pouvoirs et des places. On pourrait rêver qu’il l’emporte face à cette famille trop polie et trop riche pour être vraiment honnête. Hélas, ça n’est pas ce que la pièce raconte : on aura beau faire, on ne pourra pas sauver Tartuffe. Mais on peut, au moins, le regarder sans haine.»
Benoît Lambert se demande d’ailleurs «si ce n’est pas cette famille, disséquée au scalpel par son auteur, qui constitue au fond le motif central de la pièce. Molière la détaille avec précision, s’attardant sur chacun de ses membres, donnant à tous une consistance et une histoire. Il pose d’ailleurs sur la famille d’Orgon un regard plus politique que psychologique : ce qui l’intéresse, ce sont les rapports de pouvoir, de dépendance et de domination, les marchandages et les coups fourrés. Parfois, ça pourrait faire penser à ces polars politiques italiens, qui se tournaient au milieu des années 70. Ou à certains films de Chabrol.»
À propos de sa mise en scène de « Tartuffe », de Molière, présentée à Toulouse au Théâtre Sorano, Benoît Lambert prévient : «Il ne s’agit pas de tenter une reconstitution historique, ou de représenter les rapports de classes et de générations tels qu’ils s’organisaient dans une famille “honnête” au milieu du XVIIe siècle. Il s’agit plutôt de tenter une image rêvée ou cauchemardée de cette famille de la haute bourgeoisie, qui grimace sous l’assaut de Tartuffe, qui exsude son tas de sales petits secrets. On se rappellera qu’il s’agit moins de montrer une époque qu’un dispositif de crise, et qu’on peut le faire figurer ailleurs dans l’espace et le temps. Le point central, en tout cas, sera de produire un portrait de famille. Emmanuel Vérité sera Tartuffe. Nous poursuivrons ainsi un dialogue engagé il y a près de 20 ans autour des grandes figures du répertoire : après Scapin, Lorenzo, Alceste et Perdican, il sera l’imposteur charmant et inquiétant que Jouvet appelait de ses vœux», prévient Benoît Lambert.
Jérôme Gac
Du mardi 20 au samedi 24 janvier, 20h00, au Théâtre Sorano,
35, allées Jules-Guesde, Toulouse. Tél. 05 81 91 79 19.
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photos © Vincent Arbelet
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