Le pianiste et compositeur Karol Beffa accompagnait la projection des « Misérables » réalisé en 1925 par Henri Fescourt, film présenté par la Cinémathèque de Toulouse et le Théâtre national de Toulouse au terme de quatre années de restauration.
359 minutes, soit 6h30 de cinéma : « les Misérables » par Henri Fescourt est l’une des adaptations les plus fidèles du roman de Victor Hugo retraçant une épopée en cinq tomes, c’est-à-dire 2 000 pages, 513 000 mots. Samedi 13 décembre, la Cinémathèque de Toulouse et le Théâtre national de Toulouse proposaient de visionner en avant-première mondiale ce chef d’œuvre du muet datant de 1925. Accompagné par le pianiste et compositeur Karol Beffa dans la grande salle du TNT, le film était présenté dans son intégralité et dans sa version nouvellement restaurée grâce à une collaboration entre le Centre national de la Cinématographie, la Cinémathèque de Toulouse et la fondation Jérôme Seydoux – Pathé.
Quatre années de restauration ont été nécessaires pour réaliser un travail de teintages, virages et mordançages de la pellicule, termes techniques de colorisation. Jaune, rouge, bleu, vert, noir et blanc : telles étaient les couleurs, voulues par Henri Fescourt, qui nimbaient chaque scène selon l’émotion appropriée. Si beaucoup de spectateurs ont encore en tête la version de 1957 de Jean Paul Le Chanois avec Jean Gabin dans le rôle de Jean Valjean, l’acteur rémois Gabriel Gabrio n’a rien à lui envier dans son interprétation du forçat en rédemption. Cet homme à la carrure physique impressionnante livrait dans les années vingt une interprétation mémorable, subtile, incarnée. En dépit d’une réalisation naïve, très littérale, qui avec le recul prête à sourire, et un jeu pour la plupart des acteurs d’un expressionnisme à replacer dans son contexte, la fresque fonctionne à merveille et l’émotion avec…
La célèbre partie consacrée à Cosette, que beaucoup connaissent, est particulièrement poignante : la petite Renée Carl y est aussi attachante que le Jackie Coogan du « Kid » de Chaplin. Par son contraste physique avec son père d’adoption, elle forme avec Gabriel Gabrio un duo tendre, générant une empathie collective que l’on pouvait ressentir dans la salle du TNT. « Les Misérables » de Fescourt, c’est l’exacerbation des grands sentiments tels que la piété, la rédemption, la justice, l’héroïsme, l’abnégation, le romantisme, et des personnages de méchants fortement dessinés par leur jeu et leurs costumes : l’inspecteur Javert aux sourcils froncés, la frange durcissant un visage engoncé dans un col raidi, ou le vénal Thénardier, courbé, le menton en avant, les yeux plissés, vêtu de haillons.
Mais qu’importe, on reste fasciné par cette humanité décrite par Victor Hugo, forte de conflits et de multiples destins qui ne cessent de se croiser sur plusieurs générations. Le point fort du film réside en des décors extérieurs magnifiés, picturaux, ainsi qu’à la restitution visuelle d’une époque, celle d’un XIXe siècle ravagé par les luttes sociales, la faim, la maladie, condamnant les uns par la cupidité et la jalousie, et les autres par l’illogisme et l’injustice des lois. Cette épopée humaine, Karol Beffa a su la faire vivre, tapi dans l’obscurité tout au long de ce ciné-concert, au son des notes de son piano, à la fois fragiles et graves, teintées de romantisme. Une prestation musicale toute en sensibilité et discrétion, empreinte d’une humilité au service de la dramaturgie et de l’émotion du film.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
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photos © Lenny Borger