Ou les grandes heures du jazz à Toulouse
« De briques et de jazz » livre de Charles Schaettel
Remettant à nouveau son cœur à l’ouvrage, 14 ans après, Charles Schaettel publie chez Atlantica, non pas une réédition de son livre déjà de référence sur le jazz à Toulouse, mais une refonte complète.
Plus de pages, 336 ! Donc un pavé pour le jazz, des photographies couleur et noir et blanc, infiniment précieuses et rares, de nouveaux documents totalement inédits. Et un format qui fait un clin d’œil au format de nos chers vinyles 33 tours. Donc une bible et un monument, mais pas une tour de Babel, tant tout est clair et ordonné.
Plus qu’un livre c’est une somme qui retrace méticuleusement, rigoureusement, toute l’odyssée du jazz à Toulouse.
Le jazz à Toulouse, c’est une histoire qui dure depuis près de 80 ans !
Une histoire de passions, de musiciens exemplaires, et de nuits pleines de fumée et de merveilles.
Car Toulouse a été, reste encore un peu timidement, un haut lieu du jazz. De par les groupes qui sont passés, et par aussi les nombreux musiciens toulousains qui ont fertilisé la ville et enchanté nos nuits. Jazz à Toulouse donc et non pas encyclopédie des jazzmen toulousains, c’est un tour d’horizon qui n’est pas empalé sur son clocher, mais qui sait rendre hommage aux musiciens locaux.
Charles Schaettel, grand amateur de jazz, courant d’un concert à l’autre, d’un « bœuf » à une improvisation, d’un big-band à un soliste, fut chroniqueur sur Radio Altitude pendant sept ans, et il tenu avec brio, pendant deux ans, la chronique jazz du mensuel « L’Off » à Toulouse.
Il était bien sûr l’homme de la situation. Il a voulu lutter contre le déclin de la mémoire, et il nous propose une histoire riche et bouillonnante de 1936 à….septembre 2014 où la belle ombre de Guy Laffite parcourt les années.
Ce n’est pas une chronique nostalgique d’un âge d’or révolu, mais un hymne chaleureux « à sa Majesté le jazz » comme le disait l’ami Claude Nougaro. Et aussi un bel encouragement au peu d’endroits encore vivants à Toulouse,
Jacques Aboucaya, grand expert, a rédigé une lumineuse préface à cet ouvrage qu’il qualifie « d’historiographie » et qui désormais fera référence et pour longtemps.
Et plus que l’histoire musicale d’une ville c’est un pan fondamental de l’histoire du jazz en France qui est ainsi édifié.
Charles Schaettel a voulu ainsi que soit raconté, honoré, « tous les musiciens qui, amateurs ou professionnels, ont fait swinguer la Ville rose. »
À travers des anecdotes authentiques et savoureuses, des portraits chaleureux des lieux et des musiciens, Charles Schaettel fait revivre et défiler devant nous bien des moments mémorables, dont certains nous reviennent alors en mémoire en se disant : J’y étais !.
Guy Laffitte donc qui occupe une place centrale dans ce livre, Michel Roques, Claude Tissendier, Elisabeth Caumont, Pierre Boussaguet, Calleja, Philippe Léogé, Claude Guilhot, Tonton Salut, et tant d’autres sont là devant nous… Mais aussi ceux de passage comme Louis Armstrong, Lionel Hampton, Count Basie, Ella Fitzgerald, Rex Stewart, Errol Garner, Chet Baker, Sonny Rollins, Brad Mehldau, Abbey Lincoln, Betty Carter, Herbie Hancock, Chick Corea, le merveilleux Art Blakey, Ornette Coleman, Anouar Brahem, Miles Davis, Jan Garbarek, Tom Harrell, Shirley Horn, Elvin Jones, Helen Merrill,, Wayne Shorter, Ahmad Jamal,… et j’en dirais et j’en dirais non pas pour passer le temps, mais pour le retrouver.
Depuis les terrasses, aux caves enfumées et voûtées, en passant par la Halle aux Grains et le Capitole, le théâtre Sorano, la Salle Nougaro, l’espace Croix-Baragnon, l’association Jazzimut, Music’Hall, le festival Jazz sur son 31, et les quelques bars à jazz qui demeurent encore, tout est noté, évoqué, minutieusement.
Mais signalons, pour taquiner, juste une petite erreur page 212, c’est François Couturer qui est aux claviers et Célea à la basse. Ceci uniquement pour prouver que nous avons dévoré ce livre et appris bien des choses.
Pour réussir un tel ouvrage il fallait bien sûr un passionné de cette musique, mais aussi d’art et de culture et un musicien amateur averti. Mais aussi un véritable historien qui au-delà des anecdotes pouvait faire œuvre irréfutable. Il l’a réussi magistralement en consultant des tonnes d’archives lui qui fut le conservateur en chef du Patrimoine à la Drac de Midi-Pyrénées.
Mais point de science dogmatique, de culture accablante, chez Charles Schaettel tout est vivant, plein de rythme, de groove donc, d’amour profond du jazz.
La partie la plus fascinante, car la plus lointaine pour nous, est celle des années 30 à 50, de ses concerts en terrasse de la Place Wilson, avec des grands orchestres, de ses boîtes de nuit, ses brasseries, ses restaurants, ses dancings, les grands cinémas du centre-ville, ses lieux mythiques comme le Tabou, la Tournerie des Drogueurs, la Cave des Blanchers, le Pharaon, chez Geneviève…
Le rôle important d’Hugues Panassié, à la tête du Hot-Club de jazz, dans les années 35-60 est remis à l’honneur, avant qu’il ne devienne le conservatisme incarné. L’influence de Radio-Toulouse est rappelée.
La période de la décennie « classique » et la difficile période des années 70-80 sont bien documentées. Et l’épopée de tous les lieux, leur gloire et leur déclin parfaitement racontés. Des repères discographiques précieux sont donnés.
Art Blakey avait ses Jazz Messengers, Charles Schaettel est notre messager du jazz à Toulouse. Il n’est ni nostalgique, ni pessimiste, et délivre un message d’espoir dans la pérennité du jazz à Toulouse.
« Plus les lieux où entendre les musiciens ferment dans Toulouse et plus les groupes de jazz persistent à exister. »
Et une nouvelle génération de musiciens de jazz, sans tabous et sans frontières, est présente pour de nouvelles aventures.
Et l’histoire du jazz à Toulouse continue à s’écrire !
Gil Pressnitzer
« De briques et de jazz » livre de Charles Schaettel – éditions Atlantica