Philippe Bianconi très concentré et détendu a pris le temps de laisser le public se calmer et faire un profond silence avant de se lancer dans son interprétation de la première Ballade de Chopin. Dès les premiers accords, un son plein, rond, puissant et enveloppant a saisi par sa force de persuasion. Puis dans une gradation de nuances infimes, le son pianissimo a semblé se suspendre sous la voûte. Si les qualités de musicalité fine de Philippe Bianconi sont connues depuis toujours, ce poète du piano a gagné en sa maturité une puissance et une force qui lui permettent d’ égaler les plus grands. L‘autorité naturelle, les moyens pianistiques phénoménaux se mettent au service d‘une vision personnelle des œuvres. Jouer les Quatre Ballades de Chopin à la suite, pages si différentes et pourtant chacune si profondément emblématique de son auteur, est une gageure tenue haut les mains par le pianiste français. Un rubato audacieux, des nuances très accentuées, une force digitale mise au service de l‘harmonie avec un admirable équilibre des deux mains, rendent Chopin très moderne tout en restant un modèle de romantisme en raison d’une émotion toujours au bord des notes. Jouant par cœur ces pièces complexes, leur style très différent a été délicatement respecté par un interprète ayant réfléchi à chaque note et semblant toutefois presque libre jusque dans ses emportements. Cette vision très construite et qui semble par moment comme improvisée tient du magicien. La première et la quatrième ont pour nous été les plus éblouissantes et les plus émouvantes. Ce qui nous aura le plus marqué est peut-être cette impression d’un piano symphonique à la richesse insoupçonnée.
Philippe Bianconi embrase le Cloître des Jacobins
Partition à l’œil, Philippe Bianconi a, en deuxième partie de concert, crée Papillons de Bruno Montovani. Le compositeur, très en verve, a longuement présenté sa pièce, très pensée, hommage ambivalent à Schumann. La pièce virtuose, en triple et quadruple croches a été parfaitement maîtrisée par Philippe Bianconi, qui a su en faire sortir toutes les couleurs et les effets sonores sur tout l‘ambitus du clavier. Pièce plus spectaculaire et impressionnante que sensible et émouvante, mais toujours très habile.
La fin du concert a permis de se régaler du piano de Ravel que Bianconi joue de manière idiomatique. Un Ravel audacieux, et brillant, plein de second degré, mais surtout, ce qui est bien plus rare même chez les plus grands interprètes, très émouvant. Les pièces de danse d’un XVIIIème siècle idéalisé que Ravel joue à moderniser sont également un hommage aux compagnons morts à la guerre. La douleur sourde contenue dans les pièces sous le brillant pianistique, n’est pas ici camouflée. A nouveau nous bénéficions de cette puissance mise au service de l’harmonie avec toutes sortes de couleurs et de sons magnifiques. Des nuances subtiles et des doigts qui font oublier toute notion de travail tant ils semblent libres.
En Bis, deux pièces de Chopin, valse et prélude, redisent les deux points d’écart entre passion et murmure, si représentatives de l‘art de Chopin. L’ Ile Joyeuse de Debussy a pris des allures de poème symphonique à la pulsion de vie irrésistible. Le public a fait une belle ovation au musicien radieux.
Toulouse. Cloître des Jacobins, le 9 septembre 2014. Frédéric Chopin (1810-1849): Quatre ballades ; Bruno Montovani (né en 1974) : Papillons, création mondiale ; Maurice Ravel (1875-1937) : Le tombeau de Couperin. Philippe Bianconi, piano.
Article écrit pour Classiquenews.com