Deux films avec en commun la famille, le code de l’honneur, et le chasseur-chassé
Tout juste récompensé du prix de meilleur citoyen de l’année (déblayeur de neige en Norvège étant aussi important que barman au Groland), Nils (Stellan Skarsgård) apprend le décès par overdose de son fils. Ne croyant pas cette version, il traque le moindre indice et élimine chaque intermédiaire de l’organisation pour atteindre le commanditaire de ce meurtre. Celui-ci, voyant les membres de son équipe disparaître, met tout en place pour éliminer la personne ou le clan qui l’attaque. Les deux traques sont mises en parallèle, celle d’un citoyen modèle au dessus de tout soupçon, devenant une réelle machine à tuer, et celle d’un chef de la pègre, dont l’impulsivité traduit son côté pas bien fino. Chaque chasseur ignore l’identité de sa cible, qui pourtant le chasse. Entre les mauvaises pistes avec Bruno Ganz, en parrain à l’ancienne d’un gang rival, les trahisons du code de l’honneur de la mafia, et les soutiens inattendus, ce western polaire oscille entre tension et comédie jusqu’à la toute dernière minute des quasi deux heures de film, sans jamais faillir à ses deux taches. Malgré une neige immaculée où justement les taches de sang peuvent faire désordre, la Norvège magnifiquement filmée se révèle être le lieu idéal pour faire disparaître les cadavres.
Avant tout, j’ai un petit soucis avec le fait qu’il soit dans la compétition, car j’en suis sortie en me disant « Mais en quoi est-il grolandais ? » car, même s’il y a des scènes où l’on ri, ce n’est quand même pas l’humour, même grinçant, qui caractérise ce film. Un peu comme si « Les 7 Samouraïs » concourrait dans un festival de comédies musicales. Mais je dois reconnaître que j’avais adoré l’an dernier « The Punk Syndrome » qui faisait partie de mes 3 chouchous. Lui aussi n’était pas comique, mais j’avais moins de soucis du fait que ce soit un documentaire. C’était un peu comme un épisode de la première saison de « Strip-tease », assez insolite et touchant à la fois, on en sort marqué, et on ne sort pas indemne de « Mange tes morts »
Ce film se démarque indéniablement par son sujet, les gens du voyage, filmés de l’intérieur, c’est-à-dire sans l’angle du sujet de journal télévisé, comme « Comment les villes peuvent-elles les accueillir ? » ou « Nos poules sont-elles en danger ? ». Jean-Charles Hue choisit une nouvelle fois les mêmes acteurs non professionnels de « la BM du Seigneur », son précédent film, avec une répartition des rôles ici différente, et échappe aux discours normés. Le retour de Fred (Frédéric Dorkel) au sein de sa famille, après avoir purgé une peine de 15 ans, permet aux spectateurs de connaître les changements de la communauté yéniche, comme l’apparition d’une église chrétienne, proche de son cousin et de son petit frère Jason (Jason François) dont le baptême est prévu le lendemain. L’accueil de Fred mêle la joie des retrouvailles avec Jason et l’angoisse d’une partie de communauté qui se tient maintenant à carreaux. La première nuit ensemble sera une virée initiatique à tombeau ouvert pour Jason, qui acquerra son nouveau surnom « Jack », et une occasion de digérer le passé pour Fred, en quête de rédemption. Le chassé redevient le chasseur. Famille et code de l’honneur prennent une dimension sacrée ici, où le titre même « Mange tes morts » est la pire insulte signifiant qu’on envoie l’autre renier ses ancêtres : celui qui mange sa parole ou la mémoire des anciens n’est plus un homme. Rappelons que le titre complet est « Mange tes morts – tu ne diras point ». Cette virée de nuit (que le réalisateur a vécue dans la voiture de l’oncle de Fred, à qui le film est dédiée) est une immersion totale pour le spectateur. D’ailleurs si quelqu’un peut m’expliquer où il met la caméra quand il les filme à tout berzingue, à l’intérieur puis à l’extérieur de la voiture, sans aucun champ-contre-champ, je suis preneuse. Grand film, mais pas grolandais.