Une grande lauze inclinée, pierre tombale prémonitoire. Derrière le donjon du château, le premier quartier de lune, d’un triste rayon, guette le fantôme de la malheureuse [qui] tomba dans l’onde. La fontaine est un puits où les suivantes en bottes vont puiser l’eau maudite.
C’est sur une charrette de suppliciée, escortée d’une théorie d’ombres lugubres, qu’arrive Lucia pour son mariage avec un vieux beau ridicule en veste tapisserie. Signature forcée par la main du frère, signature de trois arrêts de mort.
La noce fiche des roses blanches dans le noir de la lauze. Y fait un lit nuptial avec un suaire immense. La mariée, tachée de sang, s’ensanglante encore avec le contenu d’un petit arrosoir… la tentation du gore mis en scène. Le linceul deviendra corolle d’une fleur éperdue dont le cœur se noiera dans le puits, Lucia rejoignant Ophélie.
Au dernier acte, ne reste plus de Lucia que sa tombe [1].
On oublie les sièges qui s’en vont en poudre, les genoux du voisin, les bravi intempestifs. Les sur-titres sont judicieusement projetés sur le mur du château, à jardin, au-dessus du petit orchestre. L’automne d’août a bien voulu céder sa place à la douceur d’une soirée d’été, et les artistes ont choisi de jouer – rien ne justifiera jamais qu’on ne lève pas le rideau [2]. L’opéra comme un manifeste.
Peu de mise en scène autour de la folie. Gestes scolaires de douleur, d’effroi, de colère. Les hommes enlèvent leur veste, la remettent. Les chœurs des assistants [sont] toujours immobiles [1], sans réaction.
Scéniquement et vocalement, Svetislav Stojanovic peine à endosser le costume d’Edgardo et les aigus sont une réelle souffrance. En revanche Gabriele Nani, regard ténébreux, physique de tanguero et parfaite diction, donne à Enrico toute sa noirceur, même si son beau baryton n’a pas la puissance pour s’imposer à ciel ouvert ; on regrette qu’il disparaisse du dernier acte. Très solide Raimondo de Christophe Lacassagne, qui sera le lendemain méconnaissable en Roi Vlan.
Burcu Uyar, habitée par Lucia, domine la distribution. Belle projection, coloratures agiles, dialogue émouvant avec l’écho de la flûte fantôme [1]. Une folie poignante dans les ténèbres inquiétantes du château que la lune épouvantée a fuies.
[1] Catherine Clément – L’opéra ou la défaite des femmes. Figures Grasset 1979
[2] Olivier Py – Télérama n° 3364, 2 juillet 2014
Festival de Saint-Céré, Château de Castelneau, 5 août 2014
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.