Du dîner de fête à la défaite, il n’y a parfois qu’un pas.
Où dîner un lundi soir à Toulouse si l’on veut fêter dignement les résultats du bac, même en l’occurrence le bac de français ? Notre choix se serait porté spontanément sur le restaurant de Michel Sarran, mais l’organisatrice de la soirée préféra miser sur L’Amphitryon de Yannick Delpech à Colomiers avançant que le fait d’avoir ce soir-là un conducteur sobre parmi les quatre convives permettait l’escapade en voiture. Soit. Sans être un inconditionnel du classement établi par le guide Michelin, voici une proposition qui ne se refuse pas, comme l’on disait dans Le Parrain. Un deux étoiles, c’est toujours tentant.
Sur le menu à la carte, de jolis plats nous faisaient de l’œil, mais la jeunesse – aux commandes ce soir-là, bac oblige – opta pour le menu dégustation servi à la table entière. Un peu plus de quarante minutes après avoir été installés, reçu les cartes et commandé le vin, nous hélons un serveur en lui exposant avec le sourire la situation : personne n’était encore venu prendre la commande. Le jeune homme, dont la moue blasée semblait dire qu’il avait fait face à des situations autrement plus délicates, rétorqua : « Ah… Dans ce cas, le maître d’hôtel va sans doute venir… » Ce sans doute était un chef-d’œuvre, la quintessence d’une certaine idée du service à la française. Une désinvolture, un côté « Mon brave… » ou « Mon pauvre ami… » avec tape sur l’épaule de mise, que l’on retrouve aussi bien au café du coin que sur les tables de prestige. Nous précisâmes alors que ce sans doute devait être de bon augure, mais que si l’attente devait se poursuivre trop longtemps, nous irions poser nos fourchettes ailleurs.
À coté de la plaque
Finalement, la perspective d’un départ débloqua la situation et la directrice de l’établissement, Sandrine Batard, s’excusa et offrit gentiment quatre coupes de champagne. Le menu dégustation(1) défila enfin. Une mise en bouche et sept plats servis avec un débit de mitraillette. Or, il faudrait avoir un calepin ou un i-Pad pour noter car, dans l’assiette, il était assez difficile de retrouver les ingrédients et l’évidence du produit au gré de saveurs qui s’empilaient, de textures qui se mêlaient. Un art et une manière caractéristiques de certains étoilés qui préfèrent le concours de dribbles et les passements de jambes à la luminosité d’une passe décisive ou d’une reprise de volée. Prenons ce « Défait d’agneau retour d’Orient… » où le noble animal se retrouvait dispersé façon puzzle, disparu, fondu. Le menu nous parut fatigué, sans souffle, corseté. Certes, d’une grande technicité, forcément, mais récitant une partition de bon élève sûr de lui et peu soucieux du public.
La carte des vins ? Vieillotte et paresseuse. Quand tant de jeunes chefs, même à Toulouse (Aziz Mokthari aux P’tits Fayots, Hamid Miss à La Pente Douce, Yohann Travostino au Solilesse, Simon Carlier à Solides…), font l’effort de mettre en valeur des vins d’artisans vignerons, on attendrait la même exigence chez un étoilé. La carte de Michel Sarran (deux étoiles lui aussi), bien équilibrée entre vins classiques et vins plus originaux, en est un bon exemple. Et que dire de celle du grand Olivier Roellinger à Cancale qui dans son restaurant Le Coquillage (une étoile) propose une carte 100% vins naturels ! On pourrait en citer des dizaines en France et ailleurs. A L’Amphitryon, nous optâmes pour une cuvée Courtiol du Clos Fantine (Faugères), vin gourmand et joyeux à prix raisonnable.
Au final, ce dîner évoquait avec 24 heures d’avance la performance du Brésil face à l’Allemagne en Coupe du Monde. Il manquait Neymar – l’inspiration, le coup de génie – et Thiago Silva – la solidité, la rigueur. L’équipe était brouillonne, sans doute pleine de bonne volonté, mais à côté de la plaque. Ce n’était qu’un dîner, un soir d’été, à une table. Peut-on juger un établissement sur cette seule contre-performance ? Bien sûr que non. Cependant, cela a existé.
L’Amphitryon – Chemin de Gramont – 31 770 Colomiers. Tél : 05 61 15 55 55. Ouvert sept jours sur sept.
(1) Menu dégustation, 132 € par personne.
– Mise en Bouche
– « Gambero Rosso » et poutargue de Méditerranée, voile glacé d’un jus de carapace à la citronnelle
– Jeux de textures, foie gras de canard mi cuit et avocat grillé, crevettes grises et poudre d’olive noire
– La morue, le cœur de filet autour des agrumes, les joues en cocotte glacées à l’orange
– Fraîcheur de roquette et pousses tendres
– Défait d’agneau retour d’Orient, selle et côte grillées, épaule en pastilla, ris d’agneau et pois chiche
– Autour du lait, tacos de roquefort Carles, salsa de tomate et gelée de piment d’Espelette
– Le fraisier comme une cassata, gariguettes, jus au sirop d’hibiscus, sablé fraise et hibiscus
– Eclat de Gianduja et feuilletine à la cardamome, bouillon thaï, sorbet citron jaune
– Petits fours (absents ce soir-là).