S’appuyant sur les lettres d’un soldat, le collectif néerlandais Hotel Modern a recréé en miniature « la Grande guerre », avec une précision rigoureuse sur la grande scène du TNT.
On l’appelle « la Grande guerre », celle qui a fait plus de 18 millions de morts, la guerre de 14-18, la guerre des tranchées, celle des poilus, des gueules cassées. La spécificité artistique de Hotel Modern combine la création de films d’animation en direct et le théâtre d’objets. Pour nous plonger dans l’enfer de cette boucherie, le collectif néerlandais s’est inspiré de lettres de soldats envoyés au front. Ce spectacle-performance se joue d’une part sur le plateau où sont installés plusieurs dispositifs de maquettes de décors dans lesquelles des soldats miniatures sont manipulés à vue par trois marionnettistes, et d’autre part sur un écran en fond de salle où les scènes sont filmées par une caméra vidéo pour être projetées dans une reproduction à échelle humaine.
Sur le grand plateau du TNT, de tout petits soldats faits de graines se meuvent dans des paysages lilliputiens verdoyant à base de persils et de balais-brosses, du sel saupoudré simule la neige, un vaporisateur d’eau pour la pluie, du shampoing mêlé à de la terre reconstitue les tranchées boueuses. Sur l’écran, les images alternent couleurs et noir et blanc et sont ponctuées de lectures de lettres du soldat Prosper à sa mère. Le résultat est saisissant, à la fois virtuose et poignant. À jardin, le spectateur peut suivre simultanément les interventions du compositeur et créateur sonore Arthur Sauer. En vrai magicien, il réalise en direct tous les bruitages, ayant recours à des sons préenregistrés sur une table de mixage ou à une batterie d’objets au rendu sonore parfois amplifié. Les yeux rivés sur l’écran, il recrée ici l’arrivée d’un cheval ennemi, là le chant des oiseaux sur une plaine silencieuse jonchée de cadavres, ou encore le tonnerre assourdissant de bruits et de fureur qui juxtapose explosions d’obus, sifflements de bombes, tirs de mitraillettes, roulement de chars, incendies. Comble du subtil, il parvient même à nous faire entendre l’apaisement, le calme, quand la nature reprend ses droits après le carnage. Tout est millimétré, le travail son/manipulation synchronisé est d’une précision rigoureuse pour nous faire vivre de l’intérieur, du point de vue du soldat, la furie de la guerre, ses ténèbres, sa barbarie avec une puissance réaliste. Ici, l’humain est bien cette petite chose manipulée par plus grands que lui.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio