Lors de l’avant-première organisée par le Cinéma Gaumont Wilson, une rencontre était organisée avec Lucas Belvaux, pour parler de son film « Pas son genre » et de sa façon de travailler. Ce film est vraiment une très bonne surprise : découverte de Loic Corbery, Emilie Dequenne illumine le film (elle sait tout jouer, c’est officiel!) et le film change des comédies romantiques actuellement proposées. Ce film est l’adaptation du roman « Pas son genre » de Philippe Vilain, sur la rencontre de deux personnages diamétralement opposés. Voici notre compte-rendu, puisque l’interview a été faite avec Louis-Marie de l’émission « N’oubliez pas l’ouvreuse » de Radio Présence.
Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet ?
J’ai choisi un livre, plus qu’un sujet. J’aimais bien les personnages et le sujet, dont le traitement est plutôt rare, je trouve. On connait « Pretty Woman » et quelques autres. Et puis ça se finit toujours bien, on fait comme si le monde n’existait pas autour. Je ne crois pas que l’amour est plus fort que tout : je crois que ces histoires-là sont compliquées, probablement encore plus aujourd’hui qu’elles ne l’ont été. On est dans un monde qui se fragmente de plus en plus, où le communautarisme est exacerbé. [La suite de la réponse racontant la fin du film, il faut faudra passer la souris sur ce « trou blanc » pour pouvoir la lire]. Ca me paraissait important de raconter cette histoire-là aujourd’hui, où ils ne peuvent pas se trouver. C’est la malhonnêteté de la comédie romantique de faire croire que ça se termine bien à chaque fois. Comme certains se chargent du cinéma de divertissement, -et je n’ai rien contre lui-, j’essaie de me mettre ailleurs. J’aimais beaucoup la fin du livre, avec cette disparition. C’est sans appel, sans explication, sans discussion possible. C’est comme un suicide, une rupture absolue, définitive. C’est un reproche. Et en même temps, cela montre aussi la force du personnage de Jennifer de refaire sa vie. Lui est en incapable. C’est aussi l’histoire d’un homme qui passe à côté de la femme de sa vie.
Vos deux personnages sont de deux mondes différents et leur goûts sont opposés.
Certains appellent poncifs ce que je trouve être des marqueurs sociaux. Derrière les lieux communs, il y a souvent des réalités. S’ils avaient été pareils, ce n’était pas la peine de faire le film. Il fallait voir ce qui les séparait, et voir ensuite ce qu’il y avait derrière. Jean-Claude Carrière dit qu’il vaut mieux partir des clichés que d’y arriver. On doit raconter un personnage en peu de scène, on va 2 ou 3 fois chez lui. La bibliothèque de Clément existe dans un vrai appartement, le colloque à la Sorbonne a réellement eu lieu.
Le personnage de Clément est incapable d’aimer, comme on le voit avec ses deux ex. Et avec Jennifer, l’incapacité à rencontrer son enfant est une vraie peur de s’engager et de mettre le doigt dans un engrenage. Il est plutôt généreux, à l’écoute de ce qu’elle raconte. Il ne la méprise pas, il écoute ce qu’elle dit. Il peut être d’accord avec elle, quand elle le renvoit un peu dans les cordes en le traitant « d’intello parisien ». Ce n’est pas un mauvais bougre. Elle n’est pas son genre à lui, et lui probablement, n’est pas son genre à elle. Ca commence comme une histoire de cul, pour lui du moins, sans lendemain. Et puis, petit à petit, il la trouve plus intéressante que ce qu’il imaginait. Elle l’intrigue, elle lui apprend des choses.
Jennifer n’est pas sotte du tout. Elle le dit, et pour moi ce n’est pas honteux : elle aime les histoires, pas la littérature. C’est presque un peu enfantin sa façon de lire. Mais en même temps, elle lit un livre jusqu’au bout, mais ce n’est pas le style qui l’intéresse, contrairement à Clément. Elle est plutôt vive, sympathique. Elle est d’une grande dignité, je trouve, dans la volonté d’être heureuse tout le temps et de ne jamais se laisser abattre. Si l’appartement qu’elle veut est sale, elle ne se plaint pas et elle le repeint. Si elle trouve qu’elle a une sale tête, elle se maquille, elle se colore. Elle fait tout pour que la vie soit belle, même si ce n’est pas donné, ce qui est la grande différence entre eux deux. En plus de cette fracture culturelle, il y a quand même l’idée qu’à elle, rien ne lui est donné, et lui tout.
Mon amie qui a lu le roman, l’avait aimé, mais trouvé le personnage masculin très antipathique. Ce n’est pas le cas dans votre film.
J’aimais beaucoup les personnages. Philippe Vilain est un auteur d’autofiction. Tous ses romans sont écrits à la première personne, par le personnage principal, et c’est toujours extrêmement introspectif. Dans celui-là, on avait un sentiment très étrange sur Clément. Si le lecteur est un homme, ça pouvait passer, car le côté introspectif faisait qu’il s’analysait, ce qu’il avait de désagréable et qu’on comprenait qu’il ne pouvait rien y faire, qu’il en souffrait aussi. En revanche, pour les femmes, c’était absolument insupportable, fut-ce que mécaniquement je dirais. Il a un point de vue analytique sur leur relation. Il théorise sa rencontre en la vivant. Cela donnait une distance du personnage par rapport à son hisoire et par rapport à elle qui était épouvantable. Pour le film, je n’ai pas gardé ce point de vue unique. On suit les deux personnages.
Le choix du casting ?
Pour elle, je pensais à Sophie Quinton avec qui j’avais travaillé sur mon précédent film (NDC : « 38 témoins », elle joue la femme d’Yvan Attal). J’aurais bien aimé retravaillé avec elle, mais elle n’était pas libre. On a fait un casting classique : cherche comédienne de cet âge-là, énergique, avec un physique à la fois très joli, très pimpant, et à d’autres moments « quelconque », l’idée qu’elle n’est pas belle mais jolie, qui est l’idée qu’elle va développer. Qu’on ne soit pas que là dessus, qu’il y ait plus de coquetterie que de beauté. Et être bonne actrice, comme toujours.
Pour lui, je cherchais un acteur qui est l’air intelligent, qu’on se dise qu’il comprend Kant, -ce n’est pas le cas de tout le monde mine de rien. Il fallait un acteur qui soit très à l’aise avec la langue classique : quand il lit Giono, Balzac, Proust, on doit attendre la musique et comprendre bien le texte, pas pesant. Qu’il soit beau aussi, qu’il séduit même quand il ne le veut pas. Quand j’ai rencontré Loïc Corbery durant le casting, ça s’est fait assez vite et naturellement.
Pour les seconds rôle, ce sont tous des belles figures, que ce soit Didier Sandre, Charlotte Talpaert, Anne Coesens ou Sandra Nkake qui est aussi chanteuse. On est assez contents du casting, c’était assez agréable.
C’était important qu’elle chante en vrai ?
Oui. Sinon, on sent qu’il y a une arsouillerie quelque part. Quand j’ai rencontrée Emilie Dequenne, je lui ai demandé si elle chantait juste, pas si elle chantait bien. Elle m’a rassuré là dessus. Elle a travaillé avec des gens qui font chanter des gens dont ce n’est pas le métier. Avec elle, ça n’a pas été compliqué : en une journée, les 3 chansons, plutôt compliquées, étaient enregistrées.
Les chansons du karaoké ne sont pas anodines…
Toutes les chansons font échos. Celles des ivrognes aussi. Elles commencent par le « p’tit quinquin » qui est le cliché absolu, puis ça dérive sur les chants de la légion étrangère. Ça m’intéressait de mettre un peu de complexité à l’intérieur des clichés. Dans le livre, il était juste dit « elle va au karaoké ». Je trouve ça plutôt assez joyeux d’y aller. Les séances n’étaient pas décrites dans le livre et je trouvais que c’était une belle façon de la racontait elle. Elle n’y va pas bourrée pour chanter mal. Elle y va avec ses copines, elles ont répété avant. Elle fait ça comme si elle faisait une école de musique, ou une fanfare. A chaque fois, il y a une image d’elle qu’elle veut donner. Elle doit être belle, présentable. Au début du film, elle cherche à séduire. Elle a cette angoisse de finir seule. C’est un amour asymétrique, tout les sépare. Ils n’en sont pas au même niveau dans leur vie. Elle a 33 ans, coiffeuse à Arras, mère célibataire, elle se sent déjà un peu sur le déclin, qu’elle va moins plaire. Elle pense ne plaire aux hommes que par son physique, que le jour où elle va se flétrir, elle sera définitivement seule. Elle est dans une course contre la montre. Lui a 38 ans, intellectuel philosophe, il écrit des bouquins. Il est en pleine ascension sociale, et qu’il plaira encore pendant pas mal d’années. Les karaokés racontent et sa joie de vivre, et de faire les choses dignement et joliment. Elle transforme sa vie en comédie musicale : elle chante tout le temps. C’est presque volontarisme.
Quant au choix des chansons, elles racontent en effet son état d’esprit. On a hésité à les sous-titrer à un moment, puis on a jugé que cela n’était pas nécessaire.
Comment se fait le choix de la musique ?
On l’a fait composer. C’est la première fois que je travaillais avec Frédéric Vercheval, un compisiteur belge, qui est un pur musicien de musique de film. Il est extrêmement à l’écoute de ce qu’on lui demande. Il aime la contrainte, et joue avec ça. J’ai échangé avec lui différemment par rapport aux autres musiciens avec qui j’avais travaillé précédemment, et qui n’étaient pas compositeurs de musique de films. Ici, nos échanges étaient plus précis : je lui ai donné des références de musique de films que j’aimais, d’orchestration. Et dans la semaine, j’avais déjà des retours qui fonctionnaient sur les images.
Que s’est-il décidé au montage ?
Je suis toujours un peu long à l’écriture. Pour des raisons un peu inhérente au principe, dès que les personnages commencent à s’incarner, on se rend compte qu’on en a trop mis dans le scénario. Mais finalement, ce scénario-ci est très écrit, on n’a pas besoin de refaire la construction. On coupe un peu là on est long et redondant.
Votre film n’entre pas dans le cadre d’un passage télé : il dure 2 heures au lieu de 1h30, la fin n’est pas celle d’une comédie romantique, le personnage masculin n’est pas connu… Avez-vous été assez libre de faire ce que je vous vouliez ?
Oui. Je suis assez libre de faire ce que je veux, parce que depuis presque 15 ans, je travaille avec les mêmes producteur, distributeur, les partenaires financiers avec Canal+, France 3, une collaboration belge. Mes films ne coûtent pas très cher. Je ne suis pas dans la tranche la plus basse, mais tant que je suis dans cette fourchette-là de prix, je suis assez tranquille.
Ce film tranche avec le précédent, « 38 témoins »…
Il y avait déjà de ça avec la trilogie (NDC : Un couple épatant / Cavale / Après la vie ), et avant elle, « Pour rire ! » était beaucoup plus léger que celui-ci. Je ne me pose pas cette question-là quand j’écris. Un matin, j’ai une envie, et j’écris sur cette idée. Je n’ai surtout pas envie d’être un cinéaste de films noirs. J’aurais l’impression d’être dans la répétition. Ce qui fait que c’est amusant de faire des films, et d’en faire beaucoup, c’est de changer et de ne rien s’interdire, d’aller où on a envie. Je n’ai pas la volonté de surprendre, juste de faire ce dont j’ai envie à un moment donné. Mais c’est vrai que quand j’ai fait lire ce scénario, ça a fait un peu « oups », mais plutôt moins qu’avec « 38 témoins », qui était tellement noir et plus dur à faire.
Comment travaillez-vous le cadre ? La photo ?
Je ne cadre pas. Je définis la place de la caméra, la focale, les mouvements, mais je suis incapable de cadrer, de tenir la caméra. Un chef-op fait donc la lumière et la cadre. On parle beaucoup avant, on commence à bien se connaître. Il a fait « 38 témoins », il sait c que j’aime, je sais ce qu’il sait faire. Même si j’ai un combo, je ne le ragarde pas pendant les prises car je regarde les acteurs. Si quelque chose gêne, je le vois en même temps que lui. Pour la photo, il connait aussi mes goûts. On en parle avant, on définit les grandes options de l’humeur du film, et des moyens qu’on a.
Quel moment préférez-vous dans un film ? L’écriture ? La réalisation ?
J’aime tout. Ce sont des moments très différents et successifs. A chaque fin de chapitre, j’ai envie de passer au suivant. C’est presque des métiers différents, mais c’est un chaque fois des plaisirs différents :d’écrire, préparer, tourner. Ecrire, on est tout seul, un peu comme dans une bulle. Selon les réalisateurs et les auteurs, on fait lire plus ou moins avant chaque étape. Il y a le plaisir de retenier le moment de la révélation, donner aux producteurs et aux acteurs le plus tard possible. C’est un plaisir assez intense. Renoir disait « un film se prépare comme un mauvais coup ». Il y a de ça déjà à l’écriture.
Pour la préparation, on se retrouve en petit groupe. Le film commence à prendre corps, entre le casting, les repérages, faire les premiers choix importants. C’est des angoisses, mais la première fois que l’on voit une actrice en costume, les décors, c’est très plaisant.
Le tournage, c’est une angoisse terrible tous les jours, et en même temps, c’est un plaisir immense, parce qu’il y a les acteurs, l’équipe. Quand on est bien fatigué par le tournage, on a alors une période plus lente et très gratifiante avec le montage. Je n’ai pas de préférence, je suis vraiment heureux à chaque moment.
En voyant votre film, j’ai repensé à « Un beau dimanche » où la rencontre est aussi belle, et où, là aussi, les présentations de la bien-aimée font couac…
J’aime beaucoup le film de Nicole. J’aime plus la première partie que la seconde. Je trouve que formellement et sur ce que ça raconte, le traitement est abolument formidable. Après l’arrivée dans la famille, je suis moins surpris par le travail de Nicole, alors que les deux premiers tiers du film, je ne l’avais jamais vu faire. Une telle opacité, un tel mystère, un côté extrêmement radical. C’est un des ses films que je préfère.