L’autre soir, j’ai assisté à l’avant – première d’un documentaire, suivi d’un débat avec le réalisateur. Cela faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé, il faut dire que je ne suis pas une fana de ce genre d’exercice. Les questions du public sont parfois convenues et il n’y a rien de pire au monde que de découvrir derrière des films que vous adorez, un sale con pédant. J’aime autant rester dans le fantasme et me fabriquer les réponses aux questions que je me pose (après tout, comment fait – on le reste du temps ?).
Alors, pourquoi changer d’avis ? Je vous l’avoue, je n’ai pas su résister à l’affiche annonçant la soirée et portant la mention » en présence de Michel Gondry « . À la lecture de l’information, mon sang de groupie n’a fait qu’un tour. Et j’ai renié l’intégralité de ce que je vous expliquais précédemment. D’ailleurs, je ne l’ai pas regretté, le moment du débat fut un épisode fort plaisant*.
Mais ceci est un autre sujet qui nous intéresse bien moins que le documentaire en question.
Mais peut – être vous demandez – vous qui est le fameux Chomsky dont on parle. Noam Chomsky est un universitaire américain à la carrière brillante, linguiste réputé (il est à l’origine de la linguiste générative, visant à rendre compte des structures innées du langage), intellectuel très engagé à la sensibilité anarchiste, il enseigne depuis le début de sa carrière au MIT (Massachusetts Institute of Technology). En gros, un type qui a 2 ou 3 trucs intéressants à raconter.
Un jour, Michel Gondry (qui se passionne pour la science, la biologie et qui s’est également penché sur les écrits du bonhomme) fait un séjour au MIT. Il y rencontre Noam Chomsky et lui propose son projet. Contre toute attente, le professeur accepte.
Mais ce que le réalisateur a en tête, ne s’apparente pas vraiment à un documentaire traditionnel. Si le but est bien d’enregistrer une discussion sur des sujets très divers (la religion, l’enfance, la création d’un langage articulé par les premiers hommes, Isaac Newton, la téléportation, l’éducation, les choses qui rendent heureux dans la vie …), Michel Gondry souhaite illustrer l’intégralité de ces conversations par des séquences d’animation.
Je ne sais pas si l’on se rend bien compte, mais une telle entreprise demande un travail colossal. Pour produire une seconde d’animation il faut, au minimum, 12 images. Quand on sait que Conversation animée avec Noam Chomsky compte 5400 secondes (ou 1 h 28 mn), cela implique pas moins de 63 360 dessins. Un véritable travail de galérien, courant sur des années.
Que Michel Gondry a réalisé comme ça, tout seul, à sa petite table (si on fait exception des deux illustrateurs qui sont venus lui prêter main – forte sur la fin).
Et comme le réalisateur adore décidément les contraintes, c’est muni de sa vieille caméra bruyante fonctionnant uniquement par tranche de 20 secondes et devant être remontée à grand renfort de manivelle (mais le côté vintage, je pense que ça ne lui déplaît pas à ce sacripant) qu’il a filmé les interventions.
C’est vrai, Conversation animée avec Noam Chomsky ne ressemble à rien de ce que vous auriez pu voir vu jusqu’ici.
Sans jamais cesser le dialogue avec le grand professeur, Michel Gondry illustre chacun des propos, idées, concepts par son propre monde visuel (dessins naïfs ou plus élaborés, gribouillages produits de façon inconsciente, surimpression, pellicule grattée …).
Le principe est génial, permettant un véritable voyage dans l’univers graphique du réalisateur, illustrant de façon très ludique et de manière évidente des concepts qui eux, ne le sont pas toujours.
Pour lier le tout, Michel Gondry intervient souvent en voix off, revenant sur un point de détail, expliquant sa démarche, n’hésitant pas à se moquer de lui – même, à commenter ses erreurs et ses incompréhensions.
Le procédé, brillant, est parfois à double tranchant. Si vous êtes facilement distrait ou que vous avez envie de vous attarder sur les foisonnantes animations, il se pourrait que vous perdiez le fil de la conversation.
D’autant que les idées développées par les deux compères ne sont pas toujours simples (pour ma part, certaines références et concepts m’étaient totalement inconnus). Cependant, se reconnecter au cours du raisonnement est facile. Et on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’une compréhension (même partielle) de Conversation animée avec Noam Chomsky ne peut être que bénéfique à notre compréhension du monde (et notre enrichissement personnel).
La démarche peut paraître particulière, voire complètement farfelue, j’en conviens.
Mais, et là je vous demande de me faire confiance, elle est instructive, point de départ de réflexions futures, un véritable moment ludique.
En vous remerciant.
Attention, le film ne sera réellement en salle qu’à compter du 30 avril
* : Mis à part une question particulièrement tarabiscotée de la part d’un spectateur voulant pousser trop loin le principe » histoire de ne pas passer pour la moitié d’un con, je vais pondre une phrase très compliquée avec beaucoup d’adverbes et de mots de plus de 7 lettres « , les autres furent intéressantes, pertinentes, permettant au réalisateur d’apporter une vision éclairante sur son travail.
Et dans cet état d’esprit respectueux, à la limite du fervent (j’ai l’impression que je n’étais pas la seule à avoir enclenché le mode fan de attitude), Michel Gondry s’est avéré très accessible, pédagogue, drôle et un peu lunaire. Comme quoi, le fantasme rejoint parfois la réalité.