« Aimer, boire et chanter », un film d’Alain Resnais
Ce cinéaste, disparu le 1er mars de cette année, pressentait-il une fin prochaine ? Non, a priori, puisqu’il préparait déjà un autre film. La vie en aura décidé autrement pour lui, transformant Aimer, boire et chanter en véritable testament artistique. Testament ici ne veut pas dire bilan, somme, récapitulatif, mais bien au contraire ouverture, proposition nouvelle, imaginaire, comme un legs aux futures générations, legs d’un magicien du cinéma qui ne nous avait pas tout dit avant de tirer sa révérence.
Pour sa troisième adaptation d’une pièce du dramaturge britannique Alan Ayckbourn, après Smoking/No smoking et Cœurs, Alain Resnais joue la carte du théâtre dans le théâtre et met en scène de manière malicieuse six personnages en quête de leur vérité. Toiles peintes et dessins façon BD vont servir de décor à cette pièce dont le héros, George, sera aussi présent dans les esprits, les cœurs et les discussions…qu’invisible, à l’image du Godot de Samuel Beckett. En attendant, trois femmes (Sabine Azema, Caroline Silhol et Sandrine Kiberlain) tentent de (re)conquérir les faveurs de cet arlésien. Pendant que trois hommes (Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz et André Dussolier) pour des raisons plus ou moins légitimes tentent la même chose avec leur bien-aimée. Les six personnages sont bien sûr soit mariés, soit amants. Et tout cela de manière étroitement imbriquée. Le début, assez déroutant, est un véritable festival de faux-semblant mettant assez mal à l’aise car les acteurs semblent jouer « à côté ». Et pour cause, ils répètent une pièce de théâtre. Mais au bout d’un moment, il devient difficile de différencier le texte de la pièce des réflexions de la vraie vie. Le film prend son envol, l’humour cher à ce réalisateur pointe le bout du nez, l’émotion affleure, la pièce n’est en fait qu’un leurre pour des personnages à la recherche d’un geste amoureux.
C’est, il faut le dire, un véritable exercice de style. Parfaitement maîtrisé, il demande une attention soutenue et un engagement sans limite du public. Mais le plaisir est là, élégant et subtil, intellectuel et simple à la fois, fruit d’un abandon total à une certaine frivolité que le cinéaste revendiquait haut et fort.
Robert Pénavayre