Présenté au Théâtre Garonne dans le cadre du rendez-vous In Extremis, « An Evening with Judy » est un portrait de Judy Garland signé par le chorégraphe allemand Raimund Hoghe.
Accueilli en 2007 pour la première fois à Toulouse avec « Young people, Old voices » – où il conviait l’énergie, la juvénilité et le naturel de jeunes danseurs professionnels et amateurs -, Raimund Hoghe n’a cessé à chacune de ses créations de nous bousculer et de nous bouleverser. Une émotion qui prend aux tripes, va chercher dans nos secrets enfouis car entrelaçant ce qui nous lie tous les uns aux autres: l’histoire et l’amour avec un grand «H» et un grand «A». Avec ce corps-là inadapté aux normes esthétiques, et avec ce visage-là fermé par pudeur mais si fragile et émouvant, le chorégraphe allemand se confronte sans cesse à l’altérité de corps différents et si opposés au sien. Raimund Hoghe porte haut la beauté de l’humanité et redonne toute sa signification à ce mot galvaudé : «humanisme».
Dramaturge et conseiller artistique de Pina Bausch dans les années 80, il a développé son propre langage chorégraphique: minimaliste et anti-spectaculaire, à la fois conceptuel, cérémonial, et totalement sensitif et viscéral. Ses créations sont à la fois une expérience sidérante qui nous élève hors du monde, une performance qui se vit comme un tableau vivant, une œuvre plastique. Alors, dans ce temps suspendu que nous font éprouver ses performances, au spectateur d’en accepter les attentes pour laisser se déployer son monde singulier et se sentir gagné par sa poésie précieuse, ciselée.
Invité les 24 et 25 janvier dans le cadre du festival In Extremis, le Théâtre Garonne l’accueillait pour un double programme: « An Evening with Judy », solo dédié à Judy Garland, suivi d’une conférence vidéo autour de son travail avec Pina Bausch, joliment intitulée « Pina et moi ». Ce n’est pas la première fois que Raimund Hoghe s’intéresse à des figures de chanteurs, la musique est en effet essentielle dans ses spectacles : dans « Meinwärts » (1994), il y eut Joseph Schmidt, ténor juif pourchassé par les nazis ; puis la cantatrice Maria Callas dans « 36, avenue Georges Mandel » (2008) ; et aujourd’hui le portrait de Judy Garland dessiné à sa façon par un Raimund Hoghe grave et facétieux. Que sait-on de Judy Garland ? Hormis qu’elle fut propulsée enfant-star à 17 ans par la MGM, grâce à son rôle de Dorothy dans « le Magicien d’Oz »… Judy Garland et son célébrissime « Over the rainbow »? N’était-ce pas Judy Garland que l’on entendait déjà dans la bande-son de « Young people, Old voices »?
Le plateau blanc, nu, éclairé plein feux et occupé par une petite valise, laisse entendre au loin la fameuse mélodie du « Magicien d’Oz ». Raimund Hoghe entre… jupe noire et escarpins. Souvenir de 2007, où l’on découvrait son potentiel d’autodérision lorsqu’il apparaissait en Bette Davis, vêtu d’une robe jaune. Par touches précises, gestes lents, répétitifs, étudiés, et postures de star comiques, le petit homme investit l’espace de ses déambulations, de ses travestissement variés, ouvrant sa valise comme une malle magique pour en sortir tissus, accessoires, vêtements, et dessiner les multiples facettes de l’icône hollywoodienne. La bande-son enchaîne chansons, prestations télévisuelles, interviews, ou extraits de films. Tout en délicatesse et non-dits, il se fait l’ombre de la star, de la femme détruite, de la grande actrice comme elle le prouva dans « Jugement à Nuremberg » de Stanley Kramer – un clin d’oeil ici à ce passé de l’Allemagne qui hante souvent les spectacles de l’artiste allemand.
Enfin, le danseur hiératique fait entrer sur scène le virevoltant Takashi Ueno. Cette irruption joyeuse, à la manière d’un Gene Kelly ou d’un Fred Astaire, fait un temps jaillir la complicité pour peu à peu faire place à la solitude, l’abandon, la souffrance. Comment ne pas déceler ici ce monde de secrets, de solitude dissimulée et de désirs retenus qui ont pétris la jeunesse de Hoghe ? L’art n’est-il pas une question de désir ? Une quête incessante de l’amour ? Dans une vidéo présentée au cœur de la conférence qui suivait le spectacle, Hoghe confiait tout jeune ne pas se sentir capable d’être aimé. Ce même Hoghe est un artiste sans concession, profond, un travailleur acharné et passionné qui poursuit son chemin personnel, attirant ou non les foules de spectateurs.
Sur la tombe de Joseph Schmidt, l’épitaphe «Une étoile tombe» était inscrite. Avec Judy Garland, « Une étoile est née ». Raimund Hoghe aime décidément les étoiles. Elles continuent de briller bien après leur mort.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Lire autour de la pièce de Pina Bausch:
« Bandonéon. À quoi bon danser le tango ? », de Raimund Hoghe (L’Arche)
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