André Dussollier
La bibliothèque d’André
« Je proposerai une vingtaine de textes avec un principe : être ludique, léger et drôle. » Et André Dussollier, à part quelques moments plus graves, aura tenu son nombreux public en haleine de joie malicieuse.
Dans un décor minimaliste, une table et une chaise, qu’il va utiliser que pour poser ses papiers, sans mise en scène, alternant la simple lecture avec l’interprétation, André Dussollier nous offre en cadeau enfantin les mots crus, textes et poèmes, qu’il est allé dénicher dans sa bibliothèque. Ces mots patiemment retenus, suivant la maxime de son amie Marie-Hélène Lafon : « Les vaches ruminent, moi aussi ». Debout, avec ou sans textes, et cela se ressent d’ailleurs, car c’est quand il est dans l’interprétation pure, et non simplement dans la lecture, que la magie opère le mieux. Sans micro, il nous parle en fait à l’oreille.
Et André Dussollier a du ruminer amoureusement ses textes, « une lecture de quelques-uns des meilleurs volumes de sa bibliothèque. »
Certes nous sommes persuadés qu’il y a de bien meilleurs auteurs dans sa bibliothèque que ceux qu’il a voulu retenir, mais voulant faire un spectacle savoureux, avec plein de bons mots à croquer sur les thèmes éternels, avec deux thématiques qui se dégagent : le théâtre et le sentiment amoureux et ses peines…, il a retenu ces auteurs-là, et visiblement il les aime, et ceux-ci le lui rendent bien.
Ce sont aussi sans doute ses œuvres cultes, quoique le programme annonçait Viallatte, Michaux, Musset, Jarry et quelques autres, et André Dussollier a retenu pour peupler son monde d’un soir plutôt Hugo, Roland Dubillard abondamment, Vigny, Prévert, Guitry…
Dans ce bel éclectisme domine une ferveur de lire et de faire partager des moments. Grand lecteur, immense acteur, André Dussollier « nous tient en joie », et son merveilleux sourire emplit la scène.
Il continue à côtoyer « les monstres sacrés, et les sacrés monstres ».
André Dussollier porte haut l’art de dire et parfois de faire des ruptures de ton, comme avec les poèmes comme le long hymne à la bonté de Victor Hugo, Le crapaud :
Que savons-nous ? Qui donc connaît le fond des choses ?
…
Quiconque est bon voit clair dans l’obscur carrefour ;
Quiconque est bon habite un coin du ciel. Ô sage,
La bonté, qui du monde éclaire le visage,
La bonté, ce regard du matin ingénu,
La bonté, pur rayon qui chauffe l’inconnu…
Hugo sera d’ailleurs souvent convié lors de ce spectacle, monstre sacré oblige.
Et André Dussollier, nous émeut profondément, comme avec La mort du Loup d’Alfred de Vigny, tant rabâché, mais jamais aussi profondément interpréter :
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
Mais André Dussollier n’est pas venu pour jouer à la Comédie Française de grands textes bien lourds et profonds, mais pour nous entraîner dans un doux rire. Et quelle voix envoûtante, suave, de velours !
Sans déclamer, sans subir la versification, il veut « faire de chaque texte, des courts-métrages. Avec une avancée, une dramatisation. J’adore en restituer la vie et le suspense. ».
Simplement, chaleureusement, André Dussollier nous glisse avec malice des textes et des poèmes.
« La poésie que personne ne parle, mais que tout le monde comprend. », il nous la dit comme dans un tutoiement amical. Quitte à se moquer gentiment du célèbre poème de Félix Arvers, Mon âme à son secret, par une réponse à la Brassens.
Et on passe une heure dix sans une seule baisse de tension. Avec le vicaire écrivant son premier poème, avec l’abbé de Lattaignant, méditant avec coquinerie sur le mot et « la chose », et surtout avec quelques textes de Roland Dubillard d’une grande drôlerie sur les comédiennes sur le retour, sur Bérénice. Et lui l’acteur fétiche d’Alain Resnais s’amuser comme un fou, et nous aussi. Les vies croisées du descendeur à ski, du séducteur, et du fonctionnaire sont désopilantes. Et plus encore ce texte de Jean-Michel Ribes sur une certaine séparation, avec Monique et son suicide : « Moi je rentre, toi tu lâches !.), est plus que réjouissant.
Il se délecte visiblement et nous aussi. Lui le Savoyard monté à Paris, sait la valeur artisanale des choses et de la belle ouvrage. Il s’y emploie.
En guise de petit hommage à Toulouse il dit aussi Le cinéma de Claude Nougaro et « sur l’écran noir de mes nuits blanches», il nous fait le cinéma du petit taureau.
Pour nous quitter, il va dans une pirouette dire « Compagnons des mauvais jours » de Jacques Prévert :
Compagnons des mauvais jours
Je vous souhaite une bonne nuit
Dormez
Rêvez
Moi je m’en vais.
Certes il s’en est allé, mais nous fûmes les compagnons des bons jours et d’un spectacle «Ludique, léger et drôle.»
Belle invitation à un beau voyage dans les mots, servi par un grand acteur amoureux de la langue française.
Gil Pressnitzer