La poésie de la modestie
Son arrivée en catimini, frêle et gracieuse fait de Maria João Pires une sorte de fée venue du pays des songes. Le violoncelliste Antonio Meneses la suit, avec délicatesse tous deux s’installent et sans signes ostentatoires débutent un duo de la plus grande musicalité associant poésie, charme et intelligence. Le toucher délicat et sensible de la pianiste trouve en la tendresse de l’archet de Meneses un complément idéal. On peut souhaiter Schubert plus extraverti et passionné mais quelle noblesse dans cette simplicité. Nos deux musiciens s’écoutent, se répondent, dialoguent en une complicité de chaque instant. La beauté des couleurs et des nuances très fines, permet de porter chacun vers ses rêves de beauté sonore. Un tel idéal chambriste est rare et il est bien dommage que le public ait osé toussoter entre les mouvements quand on devine ainsi une musique faite dans l’instant si délicatement. Oser du bruit et si vulgaire, entre des moments de poésie sublime ne fait pas honneur au public toulousain. La Sonate Arpeggione sous les doigts de ces deux musiciens amis est une œuvre de beauté pure et d’émotions feutrées. Les couleurs que la pianiste et le violoncelliste trouvent sont rares et permettent de rêver que Schubert l’aurait aimé interprétée ainsi. Cette sonate si originale, simple et profonde à la fois, est écrite pour cet instrument à six cordes à la vie si courte. Avec les sonorités si chantantes du violoncelle de Meneses l’Arpeggione semble revivre comme une réincarnation de la viole. Les phrasés sont naturels et deviennent l’Evidence. Le public touché par une interprétation si sensible fête les deux artistes.
La Sonate « La tempête » de Beethoven nous prive de Meneses mais offre à Maria João Pires l’occasion de créer un pont entre son monde musical intime et le public. La aussi le choix interprétatif assez modéré évite toute virtuosité extérieure pour se concentrer sur une narration poétique plus qu’épique avec une place magnifique faite au silence. Une idée de tempête intérieure avant tout. Le toucher si fluide de Maria Joao Pires évite toute dureté et sait attendrir les cœurs. Les aigus pianissimi survolent les graves tonitruants créant un grand moment de libération des émotions enfouies. Ce piano de la liberté autorise chacun à vivre des sentiments contrastés mais surtout permet à la musique de Beethoven de montrer sa force d’invention.
La trop courte pièce de Mendelssohn, toute de tendresse et de beauté, remet celui qui n’est pas reconnu à sa juste place, au sommet des musiciens poètes. Nos deux complices rivalisent de subtilité et de bonté. Le violoncelle d’ Antonio Meneses chante comme une viole de gambe et le piano de Maria João Pires lui offre un tapis de velours idéal.
Pour finir ce récital rare la première sonate pour violon et piano de Brahms est abordée avec la même recherche de paix et d’harmonie. Brahms redevient le jeune homme si beau et si tendre de ses vingt ans. Nous souscrivons pleinement à cette interprétation qui rend perceptible la beauté de la forme et reste toujours élégante sans excès de tension. Les nuances délicates, les phrasés aristocratiques, les subtiles couleurs, les phrasés sculptés dans la matière des rêves sont irrésistibles tant la musique se trouve grandie en harmonie. Ce concert merveilleux rappelle combien la musique est l’art permettant à son interprète de créer presque autant que le compositeur à condition de s’engager pleinement. Le public se sent si honoré par le partage de tels choix musicaux qu’il fait un triomphe aux deux musiciens complices. En bis une pastorale de Bach permet de maintenir ouvert cet esprit de poésie de la liberté porté par les deux artistes comme un credo. La musique a régné ce soir comme rarement avec modestie et harmonie grâce à une fée et un magicien. Ce concert donné à Londres fait l’objet d’un enregistrement Live chez DG. La tempête y est remplacée par trois Intermezzi de Brahms bien plus austères. La complicité totale des musiciens y est perceptible pleinement. Une rencontre au sommet pour deux chambristes aguerris.
Hubert Stoecklin
Toulouse. Halle aux Grains, le 28 novembre 2013. Franz Schubert (1797-1828) : Sonate pour violoncelle et piano en la majeur D821, «Arpeggione» ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano no 17 en ré mineur, op. 31 nº 2, La tempête ; Felix Mendelssohn (1809-1847) : Lied ohne Worte, Romance sans paroles pour violoncelle et piano en ré majeur, opus 109 ; Johannes Brahms : Sonate pour violoncelle et piano n°1 en mi mineur, opus 38. Maria João Pires : piano ; Antonio Meneses : violoncelle.