Décembre, un mois de feu pour Grands Interprètes à la Halle. Après la soirée du 6 avec la Symphonie n°9 de Gustav Mahler – voir l’article référent – ce concert du 10 est entièrement consacré à des œuvres de deux compositeurs parmi les plus célèbres de la musique baroque, Antonio Vivaldi et Georg Friedrich Haendel, défendues par ces deux immenses artistes et par un ensemble tout “jeune“, l’Orfeo 55 créé par Nathalie Stutzmann, passionnée de direction d’orchestre.
Viendra le 16 avec la Messe en si de Jean-Sébastien Bach interprétée par un ensemble tout jeune lui aussi l’Ensemble Pygmalion, véritable révélation de la scène baroque dirigé par une nouvelle étoile montante, Raphaël Pichon. Abondance de biens ne peut nuire. Qui va donc se plaindre de telles affiches !
Programme de la soirée
Antonio Vivaldi [Venise, 4 mars 1678 – Vienne, 28 juillet 1741]
Concerto pour cordes en Sol mineur RV 157
Olimpiade Aria : Lo seguirai felice Philippe Jaroussky
Adagio du concerto pour cordes en Do majeur RV 109
Il Giustino Aria Vedro con mio diletto Nathalie Stutzmann
Farnace Aria Gelido in ogni vena Philippe Jaroussky
Allegro molto du Concerto pour cordes en Do majeur RV 109
Olimpiade Aria Gemo in un punto Nathalie Stutzmann
Olimpiade Duo Nel giorni tuoi felici
Philippe Jaroussky (Megacle) / Nathalie Stutzmann (Aristea) durée ~ 40 mn
Il est bien fini le temps des vaches maigres pour les opéras de Vivaldi. Oubliés pendant plus de deux cents ans, timidement exhumés pendant une trentaine d’années, ils sont de mieux en mieux répertoriés et enregistrés. On ne se contente plus des gravures de serenate ou des récitals de cantates, opéras miniatures ou courtes scènes dramatiques proposant un séduisant aperçu de la vocalité vivaldienne. L’approche du catalogue lyrique de Vivaldi est radicalement bouleversé depuis une vingtaine d’années, et la scène suit avec des artistes qui parviennent dans le cadre du concert, à exprimer jusqu’au paroxysme la charge dramatique de ces œuvres conçues pour la scène, évidemment. Preuve s’il en était besoin avec ce “Gelido in ogni vena“ de Farnace pour mezzo ou, ici contre-ténor, un “air d’ombre“ qui possède une force expressive et dramatique unique dans les opéras de Vivaldi, et occupe même une place spéciale dans toute la littérature musicale du XVIIIè. L’angoisse de Farnace, debout devant ce qu’il croît être la tombe de son fils unique, est rendue par le timbre vitreux des cordes qui soudain, sous le mot “terror“, éclatent en un forte avec l’intensité d’un hurlement de douleur. Un air dont dont la lente progression est constamment chargée de tragédie.
entracte
Georg Friedrich Haendel [Halle, 23 février 1685 – Londres, 14 avril 1759]
Serse Ouverture
Rodelinda Aria Se fiera belva ha cinto Nathalie Stutzmann
Serse Sinfonia de Acte III
Radamisto Aria Qual nave smarrita Philippe Jaroussky
Adagio de la Sinfonia HWV 338 pour cordes
Ariodante Aria Scherza infida Nathalie Stutzmann
Largo du Concerto grosso pour cordes et hautbois, opus 3 n°2 en Sol mineur
Orlando Sinfonia / Acte III
Serse Aria Crude furie Philippe Jaroussky
Amadigi Balletto di Pastori e Pastorelle / Acte III
Atalanta Duo Caro/Cara
Philippe Jaroussky (Atalanta) / Nathalie Stutzmann (Meleagro) durée ~ 45 mn
Il est rare, dans l’histoire de la musique, de trouver un compositeur qui fut, comme Haendel, aussi populaire auprès de ses contemporains qu’aux yeux de la postérité. Dès ses débuts, cet homme plein d’énergie, de compassion et d’humour, fut remarqué par tous : en Allemagne par la Cour et par ses professeurs, en Italie où il remporta ses premiers succès dans l’opéra, et enfin en Angleterre où il devint rapidement « the great and good Mr Haendel ».
Il sera le premier grand musicien à vivre confortablement de son art durant une vie, relativement longue – soixante-seize ans -, jalonnée de succès.
Contrairement à Vivaldi, qui mourut oublié en 1741, à Rameau dont la réputation ne grandit que lentement, à Bach qui attendit presque un siècle pour que son génie soit reconnu, Haendel fut acclamé sur les scènes internationales bien avant sa disparition, et sa renommée ne s’éclipsa jamais même si bon nombre de ses partitions se firent longtemps extrêmement discrètes. Pour ce théâtre lyrique “haendélien“, le XIXème siècle sera oublieux, le XXème résolument vengeur et ces dernières années résolument enthousiastes. Haendel est à nouveau sur toutes les scènes avec sa galerie mouvementée de personnages vigoureux, aux cœurs bouillants, au chant étoilé, aux passions ordonnées, aux désordres exquis, témoins d’un siècle qui ne plaçait que le divin au-dessus de la voix.
Pendant près de cinquante ans, il compose des œuvres appartenant à tous les genres : des opéras (quarante-deux dits italiens !) , de la musique de chambre, des pièces pour petit et grand orchestre, ses célèbres concertos pour orgue, et enfin des oratorios, dont fait partie Le Messie, oeuvre grandiose, écrite en vingt-quatre jours, qui décidera de sa renommée internationale.
Brillant, infatigable à la tâche, humaniste à l’esprit indépendant, mais animé également d’une foi profonde, Georg Friedrich Haendel a su musicalement assimiler tous les styles et toutes les traditions de son temps, et les transformer en un style personnel, alliant le sérieux de l’Allemagne, la suavité mélodique de l’Italie et la grandeur française, auxquels il ajouta la vitalité et l’audace qui lui étaient propres. Dans ses “emprunts“, à lui-même comme à son entourage, il montre à la fois son invention, sa curiosité musicale et sa capacité à se dépasser. Il fut le premier à introduire les clarinettes dans l’orchestre, à utiliser les rythmes et les couleurs sonores des instruments pour soutenir les effets dramatiques et les émotions. Ses mélodies sont incomparables et ses arias sublimes, expressives, pathétiques, simples ou joyeuses. Il est capable d’exprimer la gaieté et la légèreté, comme la gravité la plus sombre, transcendant le langage musical par la profondeur poétique. Toutes les pages interprétées au cours de cette soirée n’en seront que la démonstration la plus éclatante. La palette est éblouissante.
Un peu plus sur les artistes ?
Nathalie Stutzmann est considérée comme une des personnalités musicales les plus marquantes de notre époque et comme une des rares authentiques voix de contralto.
Exemple même de la musicienne complète, dès son plus jeune âge Nathalie Stutzmann fait des études approfondies de piano, basson, musique de chambre et direction d’orchestre.
Nathalie Stutzmann travaille régulièrement avec les plus grands chefs, et se produit avec les orchestres les plus prestigieux comme le Philharmonique de Berlin, le Philharmonique de Vienne, l’Orchestre de Paris, le London Symphony Orchestra…
Parallèlement à son intense activité en tant que cantatrice, elle consacre désormais une grande partie de sa saison à ses activités en tant que Chef d’Orchestre. Dès ses débuts en 2009, deux maîtres d’exception l’ont prise sous leurs ailes pour la soutenir dans ses projets et travailler le répertoire symphonique : Simon Rattle qui l’introduit auprès de son mentor, Jorma Panula, légende de l’enseignement, et le merveilleux complice de toujours, Seiji Ozawa.
Sous contrat d’exclusivité avec Deutsche Grammophon comme chef d’orchestre et chanteuse, Nathalie Stutzmann a sorti deux disques. Le premier, consacré aux grands contraltos vivaldiens et intitulé Prima Donna, a été unanimement salué par la presse ; le second disque, dédié à Bach, Une cantate imaginaire, a rencontré le même succès.
Cette saison, on pourra la retrouver comme chef symphonique invité dans un répertoire classique et romantique auprès des orchestres symphoniques de San Paulo et Valencia. Sans oublier l’opéra, puisque Nathalie fera ses débuts dans la fosse avec l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, en février 2014, en dirigeant la nouvelle production de l’Elisir d’amore de Donizetti.
En 2009, elle fonde son propre orchestre de chambre, Orfeo 55, ensemble jouant aussi bien sur instruments baroques que modernes, ce qui lui permet de s’aventurer en toute liberté dans les répertoires les plus divers. Son expérience de musicienne romantique et sa connaissance des styles anciens lui permettent d’aborder aussi bien Vivaldi et Mozart que Beethoven, Wagner ou Brahms. Son approche à la fois libre et rigoureuse, sa science du phrasé et l’intensité émotionnelle de ses interprétations, sa maîtrise exceptionnelle au service de la passion qu’elle communique sont autant d’éléments qui la font apprécier du public et des orchestres qu’elle dirige.
Avec Orfeo 55, les programmes Vivaldi, Prima Donna et Bach, Une cantate imaginaire sont donnés dans toute l’Europe et remportent un vif succès. Par ailleurs, de grands solistes ont répondu à son invitation lui témoignant une confiance artistique indéfectible : la mezzo soprano Magdalena Kozena qu’elle a accompagnée dans un programme Haydn/Mozart ; le contre-ténor Philippe Jaroussky avec qui elle interpréte donc un répertoire consacré à Vivaldi et Haendel ; la soprano Sonya Yoncheva avec un programme Haendel et le violoniste Renaud Capuçon avec qui elle interprétera entre autres les Concertos pour violon de J. S. Bach.
Philippe Jaroussky
Âgé d’un peu plus de 30 ans, le contre-ténor Philippe Jaroussky a déjà conquis une place prééminente dans le paysage musical international, comme l’ont confirmé les Victoires de la Musique (Révélation Artiste lyrique en 2004 puis Artiste Lyrique de l’Année en 2007 et 2010) et, récemment, les prestigieux Echo Klassik Awards en Allemagne, lors de la cérémonie 2008 à Munich (Chanteur de l’Année) puis celle 2009 à Dresde (avec L’Arpeggiata). Ce fut une décennie exceptionnelle.
Avec une maîtrise technique qui lui permet les nuances les plus audacieuses et les pyrotechnies les plus périlleuses, Philippe Jaroussky a investi un répertoire extrêmement large dans le domaine baroque, des raffinements du Seicento italien avec des compositeurs tels que Monteverdi, Sances ou Rossi jusqu’à la virtuosité étourdissante des Haendel ou autres Vivaldi, ce dernier étant sans doute le compositeur qu’il a le plus fréquemment servi ces dernières années. Il a très récemment abordé la période préclassique, avec l’œuvre de Johann Christian Bach en compagnie du Cercle de l’Harmonie. Philippe Jaroussky a aussi exploré les mélodies françaises, accompagné du pianiste Jérôme Ducros et dans les plus grandes salles d’Europe et lors d’une vaste tournée au Japon.
Le domaine contemporain prend une place croissante, avec la création d’un cycle de mélodies composées par Marc André Dalbavie sur des sonnets de Louise Labbé, avec l’Orchestre National de Lyon dirigé par Thierry Fischer (reprise en 2010 avec l’Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach). En 2012, il créera le rôle-titre de Caravaggio, opéra de Suzanne Giraud sur un livret de Dominique Fernandez, dans plusieurs prestigieuses maisons européennes.
Philippe Jaroussky a été sollicité par les meilleures formations baroques actuelles telles que le Concerto Köln, l’Ensemble Matheus, Les Arts Florissants, Les Musiciens du Louvre-Grenoble, Le Concert d’Astrée, L’Arpeggiata, Le Cercle de l’Harmonie, Europa Galante, Australian Brandenburg Orchestra , I Barrochisti, Freiburger Barockorchester, Appolo’s Fire, Anima Eterna ou encore le Venice Baroque Orchestra, et acclamé dans les festivals et salles les plus prestigieuses aussi bien en qu’à l’étranger.
En 2002, il a fondé l’Ensemble Artaserse, qui se produit partout en Europe.
Détenteur d’une discographie déjà impressionnante, Philippe Jaroussky a aussi pris une part importante dans l’Edition Vivaldi de Naïve aux côtés de Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus. Depuis plusieurs années, Philippe Jaroussky entretient aussi, pour ses disques-récitals, des relations très étroites avec Virgin Classics, son label exclusif, pour lequel il a signé des disques qui ont tous reçu de nombreuses distinctions.
En juin 2011, Philippe Jaroussky a fait ses débuts scéniques aux Etats-Unis. Il a tenu le rôle titre de l’opéra Niobe d’Agostino Steffani à Boston et Great Barrington. Il est retourné ensuite aux Etats-Unis pour une tournée de concerts dans des festivals et séries prestigieuses (Los Angeles, Berkeley, Duke University, Boston, Ann Arbor…).
En 2012, Philippe Jaroussky a participé aux côtés de Cecilia Bartoli au Festival de Salzburg pour la production du Giulio Cesare. Dans la foulée, Cecilia l’a invité à enregistrer des duos d’Agostino Steffani dans son disque Mission.
Après un repos sabbatique de 9 mois, Philippe Jaroussky est de retour sur la scène internationale en septembre 2013 aux côtés du Venice Baroque Orchestra et Andrea Marcon avec la tournée Farinelli.
Orfeo 55
Avec la création de l’ensemble Orfeo 55 en 2009, Nathalie Stutzmann concrétise un rêve de toujours : avoir son propre orchestre de chambre. Parallèlement à une carrière de contralto exceptionnelle, et plus récemment à une carrière en tant que chef d’orchestre invité qui se développe très rapidement, Nathalie Stutzmann synthétise avec ce projet vingt-cinq ans de carrière et toute une vie passée au service de la musique au contact des plus grands musiciens et chefs d’orchestre avec lesquels elle a travaillé régulièrement : d’Herbert von Karajan à Sir Simon Rattle ou Seiji Ozawa, entre autres, mais également les grands noms du baroque comme Sir John Eliot Gardiner, Marc Minkowski etc..
À la tête d’Orfeo 55, elle impose la rigueur musicale, la liberté expressive et l’intensité émotionnelle qui font sa réputation en tant que chanteuse et chef d’orchestre.
Si Vivaldi, Bach, ou Haendel occupent une place centrale dans les programmes de l’orchestre, Nathalie Stutzmann n’entend pas limiter son répertoire à l’ère baroque puisque les musiciens de l’ensemble possèdent la double pratique instruments baroques/instruments modernes, ce qui permet d’affronter les répertoires les plus divers en adaptant les instruments avec la plus grande souplesse possible. A ce titre, Orfeo 55 a interprété récemment Les Métamorphoses de Richard Strauss, et dès 2014, Tchaikowsky et Schönberg sont au programme.
Ensemble à géométrie variable, Orfeo 55 adapte ses effectifs aux œuvres abordées. Chaque musicien de l’ensemble est recruté individuellement selon ses qualités musicales et techniques, ses critères sonores, sa flexibilité et son intégration dans l’esprit du groupe. Orfeo 55 aime à proposer une vision très personnelle des œuvres pour lesquelles Nathalie Stutzmann éprouve une véritable passion, à les partager dans des interprétations privilégiant la plus grande expressivité, une sensualité des couleurs tant vocales qu’instrumentales, des sonorités rondes et chaleureuses adaptées aux grandes salles modernes telles que L’Arsenal de Metz, où Orfeo 55 est en résidence.
Fort de l’intense travail accompli en un peu plus de trois ans, et le succès de leurs deux enregistrements « Prima Donna » et « Une Cantate imaginaire », Orfeo 55 s’est déjà imposé sur le devant de la scène musicale, se produisant dans toutes les capitales, et imposant de nouveaux critères sonores et expressifs.
Michel Grialou
Les Grands Interprètes
mardi 10 décembre 2013
Halle aux Grains
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