Reprise au Théâtre Sorano de « Démons », mis en scène par Nathalie Nauzes. La pièce de Lars Norén jette deux couples au cœur d’un psychodrame vénéneux, mettant à jour et à vif leurs failles et leurs frustrations.
Au début de « Démons », il y a le couple « hype », sulfureux et glamour, formé par Katarina et Frank (Olivia Kerverdo et Erwan Valette). De leur appartement froid et design, ils ont fait le champ de leur relation cruelle. Lui vient de perdre sa mère dont l’omniprésence s’incarne dans une urne contenant ses cendres encore tièdes, faisant planer l’ombre de la mort sur toute la pièce de l’auteur suédois Lars Norén. Un couple dont l’amour ne semble vouloir ni mourir ni vivre, et qui ne tient que par le fil de leurs déchirements permanents, de leur relation sadomasochiste. Face à Katarina et Frank, leurs voisins Jenna et Tomas (Anne Violet et Jean-Marie Champagne) qu’ils ont invités : un autre couple de la même génération mais de condition plus modeste. D’apparence fusionnels et aimants, ces deux-là, aussi inhibés que les premiers, sont extravertis, n’existent en réalité qu’au travers de leurs enfants et surtout de leurs maladies chroniques, leur unique sujet de conversation. C’est le vide de leur vie que cherchent à remplir Katarina et Frank en se jouant la comédie pitoyable de l’amour. Tout comme Jenna et Tomas aux corps figés, raides, qui martèlent à tout bout de champ leur stabilité et leur normalité. Ainsi, au détour de phrases assassines inconscientes, vont éclater toutes les frustrations dont ils sont pétris, leur médiocrité existentielle et leur horreur à être ensemble, jusqu’à l’autodestruction infernale. Jusqu’aux confins de la démence. Les gestes qui les animent sont agressifs, explosifs, violents, suintant une sexualité frustrée.
La parole qui les agite, cinglante et autistique, se perd dans le vide d’un décor très graphique, à la scénographie classieuse qui joue des ombres et de la pénombre, de la réalité et de l’illusion. Écrasant ou grossissant démesurément les comédiens, ce jeu d’ombres somptueux confère une ambiance oppressante à cette tragédie moderne, où amour et mort sont intimement liés. Un amour qui a quitté ces êtres et se promène comme un fantôme du passé, n’ayant de cesse de harceler les vivants, telle la défunte mère de Frank. Les fantômes des mères semblent travailler les créations de Nathalie Nauzes, à en juger sa récente création « Purgatory », de W.-B. Yeats. Cet amour fantomatique dont il est question ici trouvera-t-il son purgatoire à la fin de ce jeu de massacre intimiste ? Servie par des comédiens de haute voltige, à l’interprétation physique et psychologique, cette pièce sait aussi être drôle en plusieurs endroits, de cet humour à froid, acerbe, typique des auteurs scandinaves. Cette vision mordante de l’intérieur du couple n’est pas sans rappeler « Qui a peur de Virginia Woolf ? » d’Edward Albee. Tandis que, côté cour, l’immense affiche du film, tout aussi immense, de John Cassavetes « Opening night » impose son sceau de cette théâtralité en train de se dérouler sous nos yeux. Puisque comme le disait Lars Norén, « le public comme les acteurs doivent écouter, respirer ensemble… ».
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Mardi 10 décembre, 19h00, au Théâtre Sorano, 35, allées Jules-Guesde, Toulouse.
Tél. 05 81 91 79 19.