Une certitude à Toulouse : Un orchestre et un chef magnifiques !
Toulouse. Halle aux Grains, le 19 octobre 2013. Anatoli Lyadov (1855-1914) : Le lac enchanté, poème symphonique, op. 62 ; Franz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en la majeur ; Edward Elgar (1857-1934) : Variations Enigma, op.36. Jean-Yves Thibaudet, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction : Tugan Sokhiev.
De ce deuxième concert de la saison nous avons décidé de dire notre admiration pour le choix fait par Tugan Sokhiev. Il a décidé d’inscrire dans sa tournée à Paris puis en Russie les Variations Enigma du britannique Edward Elgar. Cette suite de tableaux permet à l’Orchestre du Capitole de briller et au talent musical du chef de s’épanouir chaleureusement comme jamais. Il est possible d’écouter le concert donné à la Salle Pleyel sur France Musique à la réécoute et de regarder sur artetvlive le concert de Moscou. Vraiment la politique de diffusion de l’Orchestre a complétement changée et il est réconfortant de pouvoir suivre ainsi notre orchestre sur les media.
Le concert de Paris permet de retrouver Serguei Katchatrian, le violoniste arménien qui nous avait enchanté dans Brahms il y a peu dans le concerto de Katchaturian. Un vrai bonheur!
A Moscou c’est Renaud Capucon qui s’engage dans le célébrissime premier concerto de Bruch et sait enrichir son jeu comme rarement ici avec un orchestre et un chef si engagés.
Finalement c’est le concert de Toulouse qui aura été le moins réussi en raison d’une première partie décevante ( deuxième concerto de piano de Liszt lire notre chronique sur classiquenews.com ).
Tugan Sokhiev nous avait déjà offert les variations Enigma d’Elgar en 2009. Il semble affectionner cette belle partition. Cette œuvre qui fit la célébrité instantanée du compositeur britannique est assez peu connue en France alors que nos amis au delà du Channel l’ adore.
Dirons nous que le public de ce soir a été très britannique ? En tous cas, le succès obtenu à la fin de ces variations Enigma a été prodigieux tant l’interprétation a été belle … à couper le souffle. Chaque pupitre, dans une perfection instrumentale de tous les instants, a fait un point d’honneur à suivre les intentions du chef. Dès les premières mesures, le tempo mesuré a permis aux cordes de déployer leur velours épais et souple. Chaque note habitée par la plus délicate musicalité provoquait une émotion insoupçonnable. Les interventions délicates et sensibles des bois apportant encore d’avantage de poésie. Oui la beauté à ce point offerte touche, et chacun prenait conscience qu’il allait vivre un grand moment de musique ce soir.
Les gestes d’une élégance de tous les instants de Tugan Sokhiev magnifie une direction idéale permettant aux musiciens d’exprimer la quintessence de leur sensibilité. Impossible de détailler sans les affadir ces moments. Retenons pourtant une précision rythmique dynamisante (variations 2, 3, 11) et une largeur de phrasé olympienne (variation 4 et 5). La sensibilité de la variation 6 est magnifiée par les couleurs mordorées de l’Alto de Domingo Mujica. Des nuances extrêmes avec des cuivres décomplexés enrichissent la variation 7, une sensibilité exquise nimbe la variation 8. Le moment de grâce qui allie la beauté du geste à l’émotion de l’interprétation est l’adagio de la variation 9. Sans baguette, à mains nues, Tugan Sokhiev sculpte le son ; il obtient des prodiges de sensualités des musiciens. Le geste très légèrement en avance du chef annonce la musique nous permettant de fondre lorsque les oreilles perçoivent ce que les yeux ont promis. Le phrasé intersidéral ouvre le ciel vers les étoiles et le souffle du crescendo des cuivres soutenant les violons produit un vent de bonheur suprême. La fusion est totale entre la scène et la salle. Le long silence qui suit, encore tout plein de bonheur, permet un retour en soi. L’humour aiguisé de la variation 10 (Dorabella) enchante par son esprit. Le solo de violoncelle qui ouvre la variation 12 est particulièrement émouvant avec la sonorité ambrée de Sarah Iancu. Le final grandiose avec orgue (deuxième version) permet de terminer en apothéose : Tugan Sokhiev en grand sorcier de la baguette nous réserve une savante construction limpide et une admirable progression qui culmine avec un immense crescendo parfaitement maitrisé. En envoi final Tugan Sokhiev et ses musiciens offrent en bis le Salut d’amour d’Elgar. Pas de message plus évident : L’amour de la musique lie ce chef et cet orchestre et également la ville toute entière. Une certitude : la musique est aimée dans la ville rose.
Hubert Stoecklin