Au Festival d’Avignon, le Polonais Krzysztof Warlikowski proposait « Kabaret warszawski », spectacle déjanté et coloré qui questionne la liberté de l’individu dans un monde en crise.
Six cents places, scène modulable de dimension comparable à celle de la Cour d’honneur du Palais des Papes : la FabricA est le nouveau lieu de création artistique, de répétition et de représentation du Festival d’Avignon. Invité régulier de Hortense Archambault et de Vincent Baudriller – dont c’était en 2013 la dernière année de codirection du festival – Krzysztof Warlikowski présentait à la FabricA, au mois de juillet, sa toute nouvelle création « Kabaret warszawski ». Prévu pour inaugurer son nouveau lieu de résidence au Nowy teatr, à Varsovie, ce spectacle de près de cinq heures convoque quinze comédiens, danseurs, performeurs et quatre musiciens, tous appartenant à cette école polonaise dont la réputation d’excellence n’est plus à démontrer depuis les Grotowski, Kantor, Lupa, etc. Une vitalité et un investissement de chaque instant orchestrés par le metteur en scène au regard bleu acier. Depuis ses débuts, le passé de son pays et ses réminiscences actuelles travaillent au corps ses créations. Aujourd’hui, en adoptant la forme poétique du cabaret qui efface la notion de distance avec la salle, Warlikowski interpelle le spectateur.
S’appuyant principalement sur deux textes, « I am a camera » de John Van Druten – lui-même inspiré du roman « Adieu à Berlin » de Christopher Isherwood – et le scénario de « Shortbus » de John Cameron Mitchell, il nous entraine dans deux mondes éloignés dans le temps et l’espace : le Berlin de la montée du nazisme et le New York de l’après 11 septembre. Deux cadres historiques en état de crise à l’intérieur desquels se déchainent les peurs enfouies, les intolérances, les tabous, les frustrations sexuelles. Deux mondes à travers lesquels, vient se refléter le personnage principal, la Varsovie d’aujourd’hui – déjà au cœur de ses précédents spectacles « Angels in America » ou « (A)polonia ». De cette Pologne prise en étau entre la fin d’un ancien monde et les dangers d’un nouveau, le constat est amer. À la fois débridé, subversif, grinçant et tragique comme un tableau de Georg Grosz ou d’Otto Dix, ce cabaret reste le seul espace de liberté que Warlikowski oppose à la déchéance des démocraties, au retour en force de la norme avec son lot d’exclusions des minorités. Malgré la fin d’un système qui a vu les libertés exploser en même temps que les deux tours du World Trade center, c’est de la Pologne à l’heure de l’uniformisation qui castre l’individu dont il nous parle dans cette création dense et complexe.
Rideau de strass, salle de bain carrelée, cages de verre, on retrouve dans la scénographie de sa complice Malgorzata Szczesniak toute la symbolique du théâtre d’un Warlikowski qui ne cesse de dénoncer l’enfermement de l’individu et la banalisation de la barbarie aseptisée. Une pluie de strass pour masquer la ruine de l’être humain, à l’image de celle du couple interprété par Claude Bardouil – seul Français dans cette troupe polonaise – et sa partenaire-jumelle Magda Hajewska Krzysztofik se débattant tels deux fauves encagés, suspendus entre ciel et terre, au moment de l’effondrement des deux tours. Un instant de grâce: deux corps incandescents dans un geste chorégraphique intense qui rappelle le « Nancy.interview » que présentait le danseur en duo avec Magdalena Poplawska lors du dernier festival C’est de la danse contemporaine. C’était en avril dernier à… La Fabrique, à Toulouse.
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
« Nancy.interview »,
du 4 au 8 février ;
« Kabaret warszawski »,
du 7 au 14 février.
Théâtre national de Chaillot,
1, place du Trocadéro et du 11 novembre, Paris 16e.
Tél.: 01 53 65 30 00.