Violon d’ Ingres ? Oui à chacun le sien !
Les dimanches de Rochemontès offrent bien des surprises, et cet opus est peut être le plus insolite. L’expression Violon d’Ingres fut inventée au cours d’un dîner par le gendre de Théophile Gauthier, ami et critique d’Ingres : Émile Bergerat. Cocteau avec son esprit acidulé a demandé comment nous avions pu nous passer de cette merveilleuse expression. Et ce n’est pas le snob «avoir un Hobby» qui lui volera la vedette. L’expression est très connue dans son sens symbolique, mais sait-on qu’un des violons de Jean- Auguste-Dominique Ingres a été légué à Montauban, ville natale du peintre, avec certains tableau pour ouvrir son musée ?
Ingres y tenait et l’instrument n’est pas négligeable, nous le savons depuis sa restauration par le Musée de la Musique à Paris. Avec ce spectacle plein d’esprit, musicalement construit par Jean-Marc Andrieu, chef artistique des passions de Montauban , et par Maurice Petit pour le choix des textes, nous avons pu revivre la passion musicale envahissante qui anima toute sa vie le peintre de la belle odalisque; directeur musicalement malheureux de la Villa Médicis.
Car c’est la première surprise, cette expression repose sur un vrai talent de violoniste amateur éclairé. Ingres a joué du violon très longtemps pour ses amis et son plaisir, mais il aurait pu gagner sa vie comme second violon dans l’Orchestre du Capitole, poste qu’il occupa dans ses jeunes années. Son choix d’aller vers la peinture comme métier et les postes honorifiques qu’elle lui obtint, et de garder la musique pour le plaisir a certainement été sage.
Dans des extraits de lettres de contemporains d’Ingres, musiciens ou non, dans ses propres écrits, il est évident que la musique a été la passion de sa vie autant que la peinture son art. Selon la sensibilité à ce généreux engagement ou son amour de la technique pure, Ingres apparaitra comme un merveilleux musicien ou un violoniste aimable, sous les plumes célèbres. Pour autant son jugement sur Paganini est des plus pénétrants… Liszt qui l’a rencontré à Rome est le plus enthousiaste, Gounod le plus prudent. Mais à entendre l’amour d’Ingres pour le Don Juan de Mozart, les quatuors de Haydn ou les symphonies de Beethoven il est clair que son gout musical a été exquis. Ce spectacle nous a donc permis de comprendre un grand artiste et sa souffrance d’entendre si peu de musique. Alors, pour écouter de la musique il fallait la faire soi-même et la réduire, l’adapter: ainsi parfois symphonies et opéras au piano seul. Puisant dans les partions du musée Ingres, Jean-Marc Andrieu a déniché des transcriptions de Hummel pour piano, flûte, violon et violoncelle des symphonies de Beethoven.
Quelle distance avec notre époque de consommation effrénée, où la musique enregistrée permet d’entendre à tout moment les symphonies dans des interprétation superlatives. Ingres aujourd’hui aurait peut être été un discophile esthète et très critique… comme il en est tant. Il a, à son époque, eu le cran de jouer, certainement mieux que beaucoup, du violon avec ses amis tenant parfois la partie de premier violon. Il connaissait la musique autant qu’il l’aimait et la pratiquait. Qui peut en dire autant ?
Le concert réunissait des interprètes probes et honnêtes, comme l’avait été Ingres et ses amis. Yasuko Uyama-Bouvard au pianoforte, Philippe Allain-Dupré à la flûte traversière, Hélène Médous au violon, Marie-Madeleine Mille au violoncelle, et Maurice Petit disant les textes avec sobriété, on élégamment offert ce voyage dans le temps nous permettant d’écouter des extraits de symphonies de Beethoven ou des pièces de musique chambre. Les instruments d’époque, pianoforte, flûte en bois, violon et violoncelle avec cordes de boyau ont montré leurs fragilités, illustrant intelligemment les textes admirablement choisis par Maurice Petit.
Voici une après midi édifiante, en la très belle orangerie de Rochemontès, où le sens du partage de l’amour de la musique en toute simplicité a ravi le public très nombreux, loin de la consommation frénétique. Merci aux organisateurs, d’avoir invité ce spectacle intelligent et instructif en ce lieu parfait.
Hubert Stoecklin