Don Pasquale, sous-titré dramma buffo, n’aurait pu être que le chant du cygne de l’opéra bouffe romantique. Mais, par sa maturité d’écriture et ses innovations harmoniques étonnantes dont Giuseppe Verdi, Charles Gounod, Richard Strauss se souviendront, cet ouvrage où tant de voix illustres se sont succédées, n’a jamais cessé d’être à l’affiche des grandes scènes lyriques et ce, dès sa création en 1843.
Le Théâtre du Capitole le retrouve à l’affiche mais tout de même, après une absence de …20 ans !! C’était une production du Festival d’Aix-en-Provence de 1978, que nous eûmes fin 1979 et à nouveau 12 ans plus tard. Il était donc temps de passer à autre chose ! Place donc à cette nouvelle production sous la houlette de Stéphane Roche assisté d’Antonio Scarano pour la collaboration artistique.
L’assistant à la mise en scène du Théâtre du Capitole accroche à son CV la responsabilité d’une mise en scène d’un opéra important dans le répertoire lyrique. Dans l’ombre de Nicolas Joël pendant presque 20 ans, gageons que l’“apprenti cuisinier“ aura beaucoup appris du “chef cuisto“ ! Pour avoir une petite idée de ce que la scène nous prépare, citons ses quelques mots éclairants, et suffisants pour ne pas trop en dévoiler et laisser l’excitation de la découverte intacte : « Les barbons amoureux d’une femme plus jeune sont de toutes les époques ! Don Pasquale se situe en porte-à-faux par rapport à Norina, Ernesto (le neveu du barbon et le promis à la petite “peste“) et même Malatesta, (le docteur “manipulateur“), car ses règles de vie appartiennent à des temps révolus. Je situe l’action à Rome, à la veille de 1968, à un moment où la société, dans l’Europe entière, connaît des bouleversements importants. L’évolution de l’intrigue se reflétera dans celle du décor. Je n’entends pas présenter une mise en scène « coup de poing », comme on en voit souvent de nos jours. Je cherche plutôt à toucher tous les publics, en proposant plusieurs degrés de lecture, afin que chaque spectateur, quelle que soit sa culture personnelle, se sente concerné par l’histoire. » (1) Notons que Donizetti voulait d’un drame critique de son temps et non pas uniquement d’un opéra bouffe comme jeu de société conventionnel, historiquement éloigné.
Il souhaitait aussi que Don Pasquale soit joué en costumes de « bourgeois contemporains », fait rarissime à cette époque. Ils sont ici à la charge inventive de Coralie Sanvoisin tandis que Bruno de Lavenère s’occupe des décors et Guido Levi des lumières.
Résumé lapidaire : Une solide imposture de mariage et d’héritage : un vieil homme célibataire et fortuné (baryton) est dupé, ridiculisé, humilié, escroqué parce qu’il aime, enfin, il s’en persuade, plus jeune que lui (soprano). A la fin, il pardonne, mais lui ne retrouvera pas son honneur.
Roberto Scandiuzzi est Don Pasquale, emploi de basse-baryton bouffe, et Dario Solari, le docteur Malatesta, baryton, deux rôles dans lesquels le souci de caractérisation ne devra pas faire oublier le chant, péché hélas constant dans ce genre d’ouvrage si le chanteur ne sait pas très bien où s’arrête le texte et où doit commencer la musique. Nous avons toute confiance en nos deux artistes !
Norina / Sofronia, la jeune veuve, insupportable, est un personnage complexe qui va de la séductrice endiablée à la “petite peste“ volage au charme piquant. C’est pour la soprano américaine Jennifer Black, Musetta sur la scène du Théâtre dans une Bohème il y a peu. Norina est la dernière héroïne d’une école qui va de Serpina – La Servante maîtresse de Pergolèse – à Fiorilla du Turc en Italie de Rossini.
Le ténor argentin Juan Francisco Gatell sera Ernesto, le neveu de Don Pasquale, héritier de son oncle, objet de toutes les sollicitudes de l’organisatrice du mariage blanc avec l’oncle fortuné, soutenue par l’instigateur, son frère Malatesta ! Sa caractérisation ne manque pas de moments plus ou moins tragiques car le jeune homme ignore l’intrigue du frère et de la sœur. Il va rester longtemps abandonné à son chagrin d’amour, et donc, Donizetti lui offre, logiquement, les grands airs et les formes de duos représentatifs de la tragédie musicale contemporaine qui ne font pas partie du répertoire du style bouffe. Du point de vue du chant, la tâche est rude.
Etant donné son jeu apparemment rempli de clichés et son ensemble remarquablement bien structuré, l’ouvrage, en trois actes, est considéré par beaucoup comme l’aboutissement et l’apogée, obsolète mais grandiose, de la tradition bouffe italienne du XVIIIè siècle. Cependant, les intentions du compositeur vont bien au-delà du cadre limité d’un opéra bouffe typique, par sa peinture de caractères très explosive et par une vision moderne du problème. Don Pasquale n’est pas qu’un simple moment de “franche rigolade“. Par exemple, pas de fin tapageuse se terminant par un rire de soulagement. L’esquisse traditionnelle est affinée avec le profilage tranchant des caractères des quatre acteurs et une structure de l’ouvrage très ramassée. D’où les possibilités qui s’ouvrent alors au niveau des mises en scène, décors et costumes, avec des transpositions possibles pouvant prendre plus facilement tout leur sens.
L’enchaînement des airs, duos, trios et quatuors se fait à un rythme ébouriffant. Chaque finale est un véritable morceau de bravoure. La drôlerie est comme transfigurée par l’ironie de la musique qui la soutient, mais le dessin de caractère qu’elle prend peut avoir par moments un côté plutôt accablant et même tragique. C’est la le trait de génie de l’écriture musicale de Donizetti, un trait – redoutable – que le chef doit avoir présent à l’esprit en permanence, à savoir, que le compositeur transpose les règles artistiques de la composition tragique dans un genre comique, comme le montre le rôle dominant de la partie orchestrale brillamment élaborée. On remarquera une partie cuivres très fournie. Avec toutes les innovations de l’opéra bouffe plus ancien, Donizetti se rapproche ici visiblement du style de l’opéra comique français, un des deux genres les plus appréciés alors à Paris, où eut lieu la première de son œuvre le 3 janvier 1843 au Théâtre italien avec une distribution qualifiée de “rêvée“. Le chef d’orchestre Paolo Olmi dirigera pour la première fois l’Orchestre national du Capitole. C’est avec Don Pasquale qu’il fit ses débuts américains en 1996.
Gaetano Donizetti (1697 – 1848), on a peine à croire quand on parcourt le catalogue des opéras de ce compositeur, natif de Bergame, que le musicien a connu, de sa mort en 1848 à un passé relativement récent- les années 60 – un oubli quasi total d’où surnageaient à peu près seuls, Lucia di Lammermoor et deux opere buffe, Don Pasquale et L’Elisir d’amore. Traversée du désert bien imméritée quand on sait que Donizetti fut en en quelque sorte, « l’inventeur » de l’opéra romantique avec ses profils vocaux bien déterminés : le héros malheureux (ténor), l’héroïne (soprano), sa rivale (mezzo), et le « méchant » (baryton). Il faudra qu’il attende la mort de Bellini et la retraite de Rossini pour être demandé non seulement en Italie, mais dans toute l’Europe. En tant que compositeur, il va assurer la transition entre le pur bel canto romantique magnifié par Bellini et la sujétion de la voix aux nécessités du drame, ce que Verdi accomplira. Plus récemment, on saisira le prétexte du bicentenaire de sa naissance – 1997 – et du cent cinquantième anniversaire de sa mort, rien que çà, pour enfin, mettre en avant des dizaines d’opéras laissés en jachère, comme Dom Sébastien, roi du Portugal !!
Il aura une période faste, féconde, celle d’un génie très prolifique qui sut donner la vie à 71 opéras en 27 ans !! Il meurt d’une syphilis, le 8 avril 1848 à l’hôpital psychiatrique d’Ivry, tournant l’une des pages les plus prestigieuses et les plus attachantes du chant : celle du bel canto romantique, source de rêve, de passion, d’émotion et d’amour. Les temps à venir n’ont alors que faire de ce penchant si naturel de la nature humaine.
Et toujours, Ateliers d’écoute, Forum opéra, Conférence, Parlons-en, autour de Don Pasquale.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole – du vendredi 19 au mardi 30 avril
Réservation
(1) Opéra Magazine