Tugan Sokhiev et son engagement généreux à Toulouse depuis 2008, nous permet aujourd’hui de parler d’un franc succès pour ce concert à la salle Pleyel à Paris, après une première audition à la Halle aux grains la veille. L’Orchestre du Capitole de Toulouse est aujourd’hui à un sommet jamais atteint. L’énergie demandée par son chef est déployée sans ciller, avec sourires et regards complices. L’Orchestre a suivi une savante et ambitieuse mutation.
Michel Plasson par un patient travail l’a porté jusqu’à l’excellence dans la musique française et pour l’opéra ce que confirme, outre les concerts si nombreux, la discographie reprise par EMI dans deux imposants coffrets, chroniqués sur notre site.
Se contentant de jouer de son charisme et des qualités de l’orchestre, plus d’un chef aurait coulé des jours tranquilles dans la ville rose, mais Tugan Sokhiev est un passionné visionnaire. Il insuffle à son orchestre l‘amour de la musique russe et a su obtenir le déploiement du nombre de musiciens dans l’orchestre et le renouvellement de très nombreux artistes. L’Orchestre du Capitole est donc plein de la fougue de la jeunesse, matinée de l’expérience de musiciens chevronnés et dans une magnifique et rare parité. Cela engage l’œil autant que l’oreille à être à la fête lors des concerts. En ajoutant l’aisance de geste et l’élégance princière de la direction de Tugan Sokhiev, le succès actuellement mondialement reconnu se comprend aisément. L’invitation de solistes prestigieux permet ainsi la marche vers l’excellence des concerts d’abonnements. Cette grandeur d’un chef et d’un orchestre qui ont une vision d’avenir commune, mérite d’être suivie lors des régulières venues à Paris, salle Pleyel tout particulièrement, avec plusieurs concerts par an, qui sont parmi les premiers remplis au moment des réservations.
Ce cadre permet de dessiner le concert magnifique qui a véritablement enchanté de belle manière le public toulousain de la Halle aux grains le 5 avril, comme celui de la Salle Pleyel le 6 avril. (Il sera radiodiffusé sur France Musique le 24 avril 2013 à 20h )
En ouverture, une pièce inconnue de Rimski-Korsakov, tirée de l’opéra « La légende de la ville invisible de Kitège », ouvre un monde de féérie. La procession nuptiale et la bataille à Kerjenets enchainées ont été un moment de grande théâtralité musicale. La richesse et la subtilité de l’orchestration ont exigé beaucoup des instrumentistes mais ces derniers ont d’emblée été très impressionnants de concentration et de délicatesse. La direction féline de Tugan Sokhiev associant souplesse et précision a mobilisé la grande force expressive de la partition. La grâce de la procession nuptiale, la force des cavaliers tartares s’engageant dans la bataille comme sur un écran de cinématoscope et la désolation du champ de morts qui termine abruptement l’interlude, ont mobilisés bien des émotions du public, ravi autant que surpris.
Les variations rhapsodiques sur un thème du 24 ième Prélude de Paganini, écrites par Rachmaninov en 1934, sont très rarement jouées car elles sont bien plus exigeantes, s’il se peut, que les concertos pour piano, du virtuose aux grandes mains. En effet le piano doit être très délicat ; l’orchestre, d’une précision diabolique. Le charme de cette partition réside dans la variété de traitement du thème, parfois inversé ou en miroir, déstructuré ou segmenté, autant que dans la subtilité de l’orchestration et les audaces rythmiques.
Les interprètes se connaissaient bien et s’apprécient. Nicholas Angelich et Tugan Sokhiev avaient déjà offert le très rare concerto l’Egyptien de Saint Saëns en 2010. Leur osmose dans ces variations a été sidérante. Le toucher d’Angelich est si délicat et son jeu est si rapide qu’il évoque un vol d’elfes. Sa rigueur rythmique, fortement mise à l’épreuve, est si totale que le pianiste peut user du rubato très subtilement, en parfaite harmonie avec le chef. Les couleurs et les nuances du pianiste américano-français sont innombrables. L’humour diffuse autant que l’émotion romantique la plus pure au fur et à mesure du déploiement des 24 variations.
Ce concert est visible encore quelques temps sur Arte.tv
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Hubert Stoecklin
Toulouse. halle aux Grains , le 5 avril 2013. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Interlude de la légende de la ville invisible de Kitège ; Serguei Rachmaninov (1873-1943) : Rhapsodie sur un thème de Paganini en la mineur, op. 43 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Quatrième symphonie en mi mineur, op. 98. Nicholas Angelich, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction