Frustré pendant plus de trois semaines de spectacle vivant, j’avais hâte de retrouver le chemin des salles obscures. En faisant le grand écart, entre deux univers qu’en apparence tout sépare : du Portico Quartet aux Ballades du temps jadis de Monique Mohon et Gilles Méchin.
Le mercredi 13 février, j’ai répondu à l’incitation de Real World Records, le label de Peter Gabriel, et à l’invitation de la Salle Nougaro : le premier, auteur-compositeur-interprète, multi-instrumentiste a bercé mes années 30 de son rock progressif, et son label de musique du monde m’a aussi longtemps régalé ; quant à la belle salle bleue de l’Aerospatiale, l’accueil y est toujours chaleureux et les découvertes musicales n’en finissent pas. Cette fois-ci, il s’agissait du Portico Quartet, la coqueluche du moment et la salle était pleine à craquer d’un public très jeune. J’avoue que je n’avais jamais écouté leur musique et la surprise fut totale : quatre jeunes musiciens d’une vingtaine d’années, batterie, contrebasse électrique, hang drum (ce drôle d’instrument de percussion qui ressemble à la cassole, -le récipient en terre cuite de ma grand-mère pour faire un bon cassoulet-, et comporte 8 notes dont une fondamentale) et saxes, avec beaucoup d’électronique. Ce n’est pas du jazz comme il est partout écrit sur internet, ce n’est pas du rock, ce n’est pas vraiment de la musique planante, c’est inclassable, mais qu’importe. Cela tourne en longues boucles, cela monte, mais n’explose jamais, cela semble sans queue ni tête, cela reste harmonique avec quelques belles envolées du saxophoniste, cela reste envoutant et de jeunes spectatrices dansent devant la scène dans une profonde extase. Cela me fait penser à Kraftwerk, groupe de musique synthétique des année 80 et parfois à la Musique pour Aéroport de Brian Eno ; mais en beaucoup plus percussif.
Même si je ne suis pas arrivé à « rentrer dedans », car cette musique est trop froide et trop intellectuelle pour moi (j’aime la sensualité du rock, du jazz ethnique, des musiques du monde), je me suis pris à laisser divaguer mon esprit sur cette musique robotique, en regrettant que les musiciens ne théâtralisent pas leur apparence scénique. Je voyais bien un concert de mutants dans un vaisseau spatial en route vers une galaxie lointaine à des années lumières de notre système solaire.
Au final, une petite heure de concert (car ces jeunes gens à la gloire mondiale ont l’air pressés de repartir ailleurs) de musique pour un film de science fiction.
Je ne regrette jamais de découvrir de nouveaux horizons musicaux, même si je n’y adhère pas ; il m’arrive parfois de partir sur la pointe des pieds (de plus souvent avec le théâtre contemporain), mais dans le cas présent, je suis resté jusqu’à la fin, juste un peu étonné de l’engouement provoqué par ce quartet que je croyais venu d’un Portico, d’un portique d’une ville des mers australes. En tout cas, j’ai bien rêvé avec eux ; c’est déjà énorme par les temps qui courent ! Et puis, je me sens tellement chez moi à la Salle Nougaro que je ne regrette jamais d’y aller : ma voiture en connaît le chemin par cœur.
Le samedi 15, sur le conseil de l’excellent Alain Bréhéret, ami et pianiste de grand talent, je suis allé à la découverte de l’Espace Ravi Prasad*, lieu animé par ce beau musicien indien (dont l’éclectisme l’emmène avec Kiko Ruiz, avec le Quartet Tambour ou avec les Voix du Corps de la danseuse Mónica de La Fuente… quand il n’enseigne pas son art vocal), son épouse Marie-Françoise, présidente de l’association Indian’ Song et Marie-Hélène : un petit espace chaleureux pour une cinquantaine de personnes qui accueille la plupart du temps des cours, mais aussi comme ce soir des concerts intimes. Ballades du temps jadis (Chants du Moyen-âge et de la Renaissance), rien que le titre me mettait l’eau à la bouche, tant j’adore ce répertoire. Et le récital est pour le moins « étonnant », comme le dit le maître des lieux.
Le décor est sobre, tentures de drap rouge, un fauteuil et une chaise « renaissance ». Monique Mohon précise tout de suite que « rien n’est d’époque, pas plus que le « luth » (la guitare) de Gilles Méchin, ni elle-même : par contre, les poèmes sont bien d’époque ».
Et déjà, cette petite Dame a fait un choix judicieux parmi les trésors de la langue française de cette époque qui va de la fin du Moyen-Âge à la Renaissance de notre beau pays. En robe et coiffe vert d’eau qui font ressortir son visage de modèle pour un peintre de cette période, elle a de plus une voix et une diction tout à fait adaptés pour mettre en valeur les petits bijoux de poétesses et poètes, héritiers directs de nos Trobaïritz (femmes-troubadours) et Troubadours méridionaux.
Louise Labé, Pernette du Guillet, Marguerite de Navarre, Clément Marot, Pierre de Ronsard, Rutebeuf, François Villon… et l’on sent que ce n’est pas hasard qu’elle a choisi cette période si riche en évolution pour la création féminine, qu’elle est allée vers des poèmes d’amour.
Poèmes coquins, thèmes épicuriens, avec cette antienne du « Tempus fugit velut umbra », du temps qui fuit comme une ombre, et des roses de la vie qu’il faut cueillir avant qu’elles ne se fanent.
Ecrits bien sûr par des Hommes, comme le Blason du beau tétin de Clément Marot ou Plus ne suis ce que j’ai été du même. Mais aussi par des Femmes, aussi étonnant que cela puisse paraître ; Poèmes délicieux comme Me devez-vous bien aimer ? de Pernette du Guillet, le Chant de la mondaine de Marguerite de Navarre, mis en musique par Chantal Grimm* (Chansons des Belles Rebelles) ou Baise m’encor de Louis Labé.
A ces poèmes de revendication pour la condition féminine, Monique Mohon aurait pu ajouter celui de Christine Pisan toujours, hélas, d’actualité :
Hélas ! où donc trouveront réconfort
Pauvres veuves, de leurs biens dépouillées,
Puisqu’en France ou sieult être le port
De leur salut, et où les exilées
Soulent fuir et les déconseillées,
Mais or’ n’y ont plus amitié ?
Les nobles gens n’en ont nulle pitié,
Aussi n’ont clercs les greigneur ni les mendre,
Ni les princes ne les daignent entendre.
Soyons gré à Monique Mohon, cette grande petite Dame, de porter bien haut cette parole de modernité toujours actuelle : rappelons par exemple que les Femmes n’ont eu le droit de vote en France qu’en 1944, à la sortie de l’occupation, par la volonté du Conseil national de la Résistance ; et qu’il reste tant à faire pour la parité ou la protection des femmes battues.
Je retrouve aussi avec délectation François Villon qui se rima doux papillon : la Ballade des Pendus, et La Ballade des Dames du temps Jadis, rendue inoubliable par Georges Brassens, tout comme le Pauvre Rutebeuf ressuscité par notre cher Léo Ferré, qui nous manque tant, depuis 20 ans déjà….
Les musiques additionnelles de Gilles Méchin, grand monsieur trop peu connu de la chanson française d’expression (ses récitals de Supervielle à l’automne à la Cave Poèsie et prochainement de Jean Sénac que nous attendons avec impatience, avec Alain Bréhéret, sont à marquer d’une pierre blanche) à la guitare et au clavier-synthétiseur soulignent à merveille les textes en donnant un petit côté médiéval, mais sans exagération.
Dans une saynète, gaie et originale, à la saveur rurale, comme à l’origine dans le théâtre espagnol, Le Jeu de Robin et Marion, d’Adam de la Halle, il quittera son siège pour donner la répartie à la comédienne (à ce moment-là, il a tout du bon géant des contes pour enfants qui s’agenouille devant une frêle petite Dame) ; et ce moment émouvant méritait bien d’être un rappel.
La mise en scène de Serge Fournet, directeur du Théâtre du Mont d’Arguël*** en Picardie, qui a eu l’excellente idée de cette création et de ses interprètes, souligne avec la délicatesse de circonstance l’alacrité, la gaité ou la profondeur des poèmes par une gestuelle simple et quelques pas de danse qui rappellent l’iconographie d’époque.
Ce récital mérite vraiment une audience plus large par sa fraicheur et sa profondeur qui étaient tout-à-fait bienvenues au Pays de l’Amour courtois, qui n’a pas fini de faire école, bien heureusement, en ces temps de matérialisme à tout crin.
Décidément, la curiosité culturelle, loin d’être un défaut, devrait être érigée en vertu !
Et comme souvent au retour de mes déambulations, je me fredonne comme dans mon adolescence Clémentine :
Plus ne suis ce que j’ai été
Et plus ne saurai jamais l’être
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre
Amour tu as été mon maître
Je t’ai servi sur tous les dieux
Ah si je pouvais deux fois naître
Comme je te servirais mieux.
E.Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
16-II-2013
* Espace Ravi Prasad – 43 rue Roland Garros – 31200 Toulouse – Métro : Canal du Mid 05 61 80 15 36 www.espaceraviprasad.com
***http://chantalgrimm.free.fr/biographie.html