Avant d’entamer une tournée qui le conduira à Pleyel – Paris, puis dans plusieurs salles européennes dont le célèbre Musikverein de Vienne, l’Orchestre National du Capitole interprète ce vendredi 8, La Damnation de Faust d’Hector Berlioz dirigé par son chef Tugan Sokhiev.
« Mais c’est pour la scène que Berlioz a écrit la Damnation ! Veuillez jeter un œil sur la partition ou le livret, et vous verrez que cette œuvre colossale n’a été faite que pour le théâtre. Pas un détail n’y est omis, tout y est prévu. » C’est ainsi que le metteur en scène et compositeur Raoul Gunsbourg, alors directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, défendait sa tentative de mettre pour la première fois La Damnation de Faust en scène comme n’importe quel opéra du répertoire courant. Mais on était alors en 1893, et d’aucuns auraient pu rétorquer à Gunsbourg que s’il avait fallu attendre cinquante ans pour que cette « Légende dramatique » monte sur les planches, c’est peut-être qu’on redoutait qu’elle n’y fut pas à l’aise !!
Plus d’un siècle après cette création scénique tardive, le statut exact de La Damnation de Faust reste discuté. Oratorio profane génialement dramatisé, ou opéra trop statique ? En fait, l’œuvre appartient aux deux genres à la fois. En consultant la liste des Huit scènes de Faust mises en musique par Hector Berlioz dès 1829, on est déjà confronté à une suite d’épisodes contemplatifs presque dépourvus d’action : « Chant de la fête de Pâques », « Paysans sous les tilleuls », « Concert de sylphes », « Ecot de joyeux compagnons », « Chanson de la puce », « Ballade du roi de Thulé », « Romance de Marguerite », Sérénade de Méphistophélès ». Peut-on parler de scènes dramatiques, ou bien ne songerait-on pas davantage à une succession de gravures de genre, telles que les lithographies qu’Eugène Delacroix consacrait au mythe de Faust à la même époque.
Dans la mouture définitive de La Damnation, de 17 ans postérieure, on retrouve ces pièces intégrées dans un projet beaucoup plus vaste. Mais de son embryon initial cette « Légende dramatique » a gardé un certain statisme, encore accusé par des transitions trop abruptes, voire inexistantes. Cette esthétique du tableau vivant, qui expose beaucoup, donne à penser mais raconte peu, n’a pu que rendre durablement atypique la carrière dramatique de l’œuvre.
Sur scène, La Damnation de Faust révèle finalement plus d’analogies formelles avec un opéra-ballet du XVIIIè siècle français qu’avec un drame romantique à part entière. Souligner ce hiatus n’est sans doute pas la meilleure façon de servir une partition dont les épanchements visionnaires s’épanouissent infiniment mieux au concert.
C’est pourquoi on retrouve l’ouvrage si fréquemment donné en concert et si peu sur scène. Pour diriger et mener à bien ces épanchements visionnaires, quoi de mieux que la baguette du chef d’orchestre Tugan Sokhiev. Ce fut une réussite il y a peu. Son retour à l’affiche nous comble, les places de concert ayant été âprement disputées !
Marguerite, c’est Olga Borodina, voix de mezzo soprano qui a fait le bonheur de nombreux enregistrements d’opéras russes dirigés par Valery Gergiev. Dalila, Marguerite sont parmi ses rôles fétiches. Le chaste timbre du violon alto, instrument conducteur dans le morceau Ballade du roi de Thulé dessine à merveille le portrait d’une jeune fille aimable en son innocence. Encore un choix remarquable de l’instrument accompagnateur avec le cor anglais, sombre et dramatique, dans la romance D’amour l’ardente flamme. Voilà deux sommets de l’art lyrique pour Marguerite.
Faust jubile : « L’amour s’est emparé de mon âme » avec la voix de Bryan Hymel, ténor qui saura émouvoir, jusqu’aux larmes ? avec « Que me fait demain quand je souffre à cette heure ». Les coups de tam-tam qui soulignent ces mots : « Voilà mon nom » sont d’un grand effet dramatique.
Le « Hop ! Hop ! » pour exciter les chevaux infernaux de Méphistophélès, c’est pour la basse Alastair Miles, tandis que, par dessus les rythmes obsédants des violons, vire en voletant tel un oiseau effarouché, la mélodie angoissée du hautbois tandis que les cris affreux des bois ont des échos fantastiques.
René Schirrer, basse, sera un brin ivre ou supposé l’être pour entonner la « Chanson du rat » de Brander au milieu d’une orgie de soldats et d’étudiants, intervention remarquée du chœur Orféon Donostiarra – sous l’égide de José Antonio Sainz Alfaro, chef de chœur
La Lauzeta, chœur d’enfants, sous l’égide de son chef de chœur, François Terrieux, participe à la fête sonore.
Michel Grialou
vendredi 08 février – Halle aux Grains
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