Après Anna Karénine, aimable divertissement pour un soir de réveillon d’un vieux couple, (beaux acteurs, beaux décors de théâtre, belles valses, et même si le roman de Tolstoï a été passablement édulcoré, en particulier sur le registre social et des rapports hommes-femmes), la sortie du beau film de consacré à Renoir tombe à pic (avec l’exposition « Les Maîtres d’Ingres » au Musée Paul-Dupuy, dont la couverture de la plaquette semestrielle est presqu’un Renoir), pour commencer l’année en beauté.
C’est un hymne à la Peinture, à l’amour charnel, à la beauté des femmes, envers et contre tout !
Être un peintre
Être un peintre !… Prendre ses pinceaux le matin…
Avoir besoin du bon, du généreux seigneur
Le Soleil, qui donne leur vie chaude aux couleurs,
Qui allume les doux cheveux et le satin,
Et qui caresse les nuques et les mains…
Être un peintre…
… Le clair atelier où du ciel pénètre…
La toile sonore au lieu du papier…
Puis le petit puits noir des encriers,
Mais large et rutilante, la palette ! […]
Être un peintre… Quand le soleil quitte les formes,
Pareillement quitter son labeur ;
Et puis la nuit, dormir comme dorment
Les enfants, les animaux, les fleurs.
Être un peintre : Donner un peu
D’ivresse enfin à ses pauvres yeux !
Charles Vildrac (1882-1971)
1915. Le monde européen a sombré dans le chaos, la guerre totale, les tranchées, la boue, la boucherie sanglante au corps à corps à la baïonnette, les gaz délétères, les milliers de morts, l’horreur absolue dont on ne voit pas la fin, surtout pas les Poilus : on rencontre des gueules cassées au coin des routes ou dans les bordels, on trafique même sur les cadavres pour abuser les familles désespérées…
Auguste Renoir* est âgé de 74 ans, il n’a plus que 4 années à vivre. A l’écart de tout ce tintamarre d’enfer, il vit dans une propriété magnifique avec vue sur une Méditerranée idyllique, dans une maison de maître au milieu des collines d’oliviers, entouré de femmes qui font tous les travaux des hommes partis au front et de son dernier fils adolescent pour le moins taiseux ; il est au sommet de sa gloire, mais il continue à travailler ses toiles comme un débutant, comme un moine enlumineur : « La peinture, c’est d’abord un métier manuel et il faut le faire en bon ouvrier ». Mais la nuit, il ne dort pas, il souffre le martyre à cause de la polyarthrite qui lui ronge les articulations, la nuit il hurle de douleur ; et le jour, il s’acharne encore et toujours à chercher la couleur parfaite, la lumière absolue : « Ce dessin m’a pris cinq minutes, mais j’ai mis soixante ans pour y arriver ». Il se fait préparer ses couleurs avec un soin perfectionniste, il se fait attacher ses pinceaux aux poignets et il peint, il peint jusqu’au bout de ses forces. Et quand on lui dit qu’il a tout peint, qu’il a créé des chefs-d’œuvre et qu’il peut s’arrêter, il répond sèchement avec son franc parler : « En réalité, nous ne savons plus rien, nous ne sommes plus sûrs de rien. Lorsqu’on regarde les œuvres des anciens, on n’a vraiment pas à faire les malins ».
Mais sa sensualité est intacte et son dernier plaisir, c’est de peindre des jeunes femmes nues, quel scandale ! Il persiste et signe : « ce que j’aime, c’est la peau, une peau de jeune fille, rosée et laissant deviner une heureusement circulation. Ce que j’aime surtout, c’est cette sérénité ».
Arrive une jeune femme libérée, mi-artiste, mi-prostituée, une gourgandine comme l’on disait alors, à la beauté solaire (un soleil roux), au corps sensuel, au moment où revient son fils Jean, le futur cinéaste, grièvement blessé, qui en tombe amoureux : les deux hommes, le vieil et le jeune, ont alors la même muse ; ils sont rivaux et en même temps, cela les rapproche comme ils ne l’ont jamais été, avant leur dernière séparation.
Le véritable sujet du film, c’est la peinture bien sûr, la lumière, la couleur, et c’est une réussite. Michel Bouquet est au sommet de son art d’homme de théâtre, qui habite le corps torturé, les yeux fatigués, le verbe dru d’un des plus grands peintres français. Sa diction est parfaite contrairement à celle de la comédienne principale dont on ne comprend pas parfois ce qu’elle dit ; mais ce n’est pas ce qu’on lui demande : elle est cette chair opulente, lourde, aux reflets dorés, sortie tout droit d’un tableau du peintre. Les interprètes de Jean et Claude Renoir sont justes et émouvants, les seconds rôles parfaits. Les séances de pose au salon ou dans la nature et les scènes bucoliques, (pique-nique, pêche au lamparo avec des pêcheurs italiens, anguilles grillées et vin frais), sont un plaisir visuel à déguster; comme les toiles du peintre. On se rince l’oeil en se disant que ce sont les petits bonheurs qui font le grand.
« La douleur passe, la beauté reste » dira Renoir avant de s’éteindre.
C’est la grande leçon de ce film très réussi de Gilles Bourdos.
Peindre c’est la merveille !
Peindre c’est la merveille !
Peindre la rose avec le sang de l’animal
Et le soleil
Avec le limon terrestre et le suc du végétal
Et la chair palpitante
Avec la pierre du gouffre
L’écaille du poisson le mercure le souffre
Qu’une œuvre savante
Transforme en un pigment que l’art transforme encor
Le peintre est mort
La couleur a perdu son maître
Et la lumière son époux
Tant de formes qui pouvaient naître !
Tant de puits de clarté s’abîmant aux égouts !
Cent ans que le peintre
A mis dans son tableau
Un jour qui nous tend la main
Le peintre doit être mort
Mais nous voici cent ans de moins !
André Salmon (1881-1969)
En ce début d’année, et après avoir vu ce Renoir, on ne peut que souhaiter Salute, pace e bellezza, comme disent les Italiens : santé, paix et beauté !
E.Fabre-Maigné
5-I-2013
* Pierre Auguste Renoir (1841-1919) est le fils d’un modeste tailleur : né à Limoges le 25 février 1841, il débute à Paris à quatorze ans comme peintre sur porcelaine, puis travaille comme graveur sur médailles, tout en peignant des éventails et des stores.
En 1862, il étudie avec Gleyre, rencontre Monet, Sisley et Pissarro. Avec eux, mais aussi d’autres peintres comme Degas et Cézanne, ou avec le photographe Nadar, ils se rencontrent au café Guerbois et organisent ensemble la première et historique exposition impressionniste. Renoir, en raison peut-être de la douceur de ses toiles, de leur facture fondues et de la luminosité de leur atmosphère, fut l’un des premiers à être accepté du public.
Peu à peu, Renoir s’éloigne des impressionnistes, surtout après un voyage en Italie (1881) où il est frappé par Raphaël et par les fresques de Pompéi. De retour en France, il copie Ingres, utilise des couleurs plus acides qu’il subordonne à une construction structurée ( Les Grandes Baigneuses, 1884-1887).
Vers 1888, après cette période « aigre », Renoir peint des nus de jeunes filles en plein air, des paysages et des scènes d’intimité. Atteint de rhumatismes articulaires, il continue de peindre jusqu’au bout, le pinceau attaché à la main. Il meurt à Cagnes-sur-Mer le 3 décembre 1919.
Auguste Renoir a laissé une œuvre considérable, nécessairement inégale, ne serait-ce qu’en raison de son caractère prolifique: plus de 4.000 peintures, soit un nombre supérieur à celui des œuvres de Manet, Cézanne et Degas réunies.