« Le voici, le Roi des Rois, Précédant le jeu de l’oie. Gloire à l’oie ! »
Il fallait l’écrire, Henri Meilhac et Ludovic Halévy l’ont fait ! et pire encore : « je suis gai, soyez gais, il le faut. Je le veux ! »
Le Château à Toto, La Vie parisienne, La Périchole, c’est d’eux encore ! Mais aussi la Carmen de Georges Bizet !
Il fallait mettre une musique sur un tel livret, Jacques Offenbach, le Mozart des Champs-Elysées, dixit Rossini, l’a fait ! Le Jacob Eberst, originaire d’Offenbach-sur-le-Main va très vite abandonner le violoncelle pour se mettre à la composition d’une musique gaie, spirituelle, inventive, reflétant le mode de vie du moment, ironie en prime. Comme animé d’une sorte de mouvement perpétuel, « l’amuseur du Second Empire » promène une silhouette dégingandée, famélique, constamment enveloppée de pelisses, avec ce front dégarni entouré de coquettes et soignées rouflaquettes, tout en noircissant des pages et des pages de partitions. Il sera compositeur mais aussi metteur en scène, impresario, propriétaires de salles de théâtre, entrepreneur de spectacles, se taillant pour lui-même une stature de star internationale très loin de l’esprit des romantiques d’alors plus enclins à briller dans l’ombre.
Au bilan, très en dessus de tout ce que « le sourcier et sorcier de l’opérette de Paris » a pu produire, un opéra bouffe en trois actes, La Belle Hélène « qui a su garder en notre siècle déshérité et démystifié ce quelque chose d’impérissable, qui lui promet l’éternelle jouvence. » Dès le premier acte, « Le roi barbu qui s’avance, -bu qui s’avance, -bu qui s’avance… », voilà un vers qui donne le ton général, l’ambiance de tout ce qui va suivre et ce, depuis la création, un 17 décembre 1864 au Théâtre des Variétés. C’est un coup de maître du tandem compositeur-librettistes, les débuts éclatants d’une collaboration sans faille.
Le XVIIè, puis le XVIIIè ont déjà détourné allègrement l’histoire antique, les grands mythes grecs, tous les dieux de l’Olympe. Mais personne n’a si somptueusement, voluptueusement chatouillé les dieux en question, et surtout les déesses qui les accompagnent.
L’histoire ? Celle d’Hélène de Sparte, enlevée par le “bogoss“ Pâris pour qui, pendant dix ans, la guerre de Troie aura bel et bien lieu. Toute la mythologie classique – et le Second Empire ? – est tournée ici en une dérision joyeuse. Tout de même, le texte se rit des références culturelles et fourmille d’allusions sociales et politiques. Alors, c’est parti : « Plus d’amour, plus de passion », suivons la drôle d’histoire d’Hélène, de son cocu de mari Ménélas, du beau berger Pâris et des trois déesses qui aspirent à recevoir de sa main la pomme, suivons l’histoire de cette Vénus qui s’amuse « à faire cascader la vertu ».
Pour magnifier tous les si beaux apprêts de la partition et les facéties du livret, il faut une mise en scène qui, ose-t-on l’espérer, évite la grosse farce, lourdeur et gras. C’est Bernard Pisani qui s’en charge, assisté d’Eric Chevalier pour les décors et Frédéric Pineau pour les costumes, sans oublier les lumières de Jacques Chatelet et Gérard Poli. On est impatient bien sûr de découvrir sur la scène du Capitole de nouveaux artistes puisque la plupart feront leur début in loco à cette occasion. C’est le chef canadien Jean-Marie Zeitouni qui va mener tout ce petit monde à la tête de l’Orchestre et les Chœurs du Capitole de Toulouse. Et n’oublions pas la rude tâche qui consiste à “truffer“ avec tact de quelques répliques d’actualité le déroulement de cette parodie, on a bien dit avec tact et humour, évidemment. Des qualités, pas toujours au rendez-vous cependant.
7 représentations de ce chef-d’œuvre de bonne humeur qui va se jouer certainement à guichets fermés, opéra-bouffe de celui qui avait bien mérité cet auto-épitaphe : « Il me sera beaucoup pardonné, car je me suis beaucoup joué. »
Michel Grialou
du 22 au 31 décembre – Théâtre du Capitole