Démonstration une fois de plus le 18 décembre à la Halle, dans le cadre du cycle Grands Interprètes.
« La musique, c’est vraiment la nourriture de l’âme. » Cecilia Bartoli
Ses disques sont devenus des événements très attendus et suscitent à chaque fois un grand intérêt, mais ce sont ses apparitions en public, relativement peu nombreuses, qui font courir les foules, aussi bien en récital que dans une production lyrique. Ils sont peu nombreux dans ce circuit à captiver de la sorte. La diva aurait-elle un secret ?
Dès l’entrée sur scène, la salle comble se devra de capituler, une fois de plus, la mezzo-soprano romaine, douée d’une formidable énergie, vous emportant illico dans son tourbillon par sa façon un brin gavroche et à la fois ultra-professionnelle à la Liza Minnelli pour ceux qui connaissent, ou Mika pour les plus tendres, de cueillir le spectateur en un clin d’œil pour ne plus le lâcher. Il est manifeste alors de constater que la voix et le physique ne font qu’un, gosier et corps liés, l’artiste conciliant pendant toute la durée de sa prestation, la plus haute exigence musicale avec le sens de l’entertainment. Il y a du Marilyn Horne dans Cecilia Bartoli et le compliment n’est pas mince, celle en effet qui fut la plus grande mezzo colorature de son époque.
Nombreux seront les airs, illustrations typiques de son génie, car par sa seule voix, elle peut créer une atmosphère, un décor, et un drame en disant un texte en vrai comédienne avec une évidence et une immédiateté rares. Mais, il est manifeste que Cecilia Bartoli fait partie de ces artistes dont le support audio se révèle insuffisant car en plus des multiples qualités reconnues de la voix, c’est aussi toute sa personne qui exprime, donne couleurs et consistance aux mots. Réelle, humaine, grande, simple, d’une plénitude totale, l’artiste incontestée fascine et impose le respect. De par son authenticité, elle tisse avec le public des liens privilégiés, rendant la nécessité du concert incontournable. La symbiose artiste-public est imparable. La très grande exigence vis-à-vis d’abord d’elle-même, le désir manifeste de toujours donner le meilleur, cette curiosité insatiable, tout cela transpire et vous galvanise.
Une technique invraisemblable sur tous les registres lui permet de vous asséner des coloratures les plus ébouriffantes avec le sourire le plus désarmant, la diva semblant vous chuchoter à l’oreille : « Voyez comme c’est facile ! », toute heureuse de pouvoir monter et descendre les gammes sans aucun effort apparent. Car, on est bien d’accord, nous ne sommes pas là pour juger des paroles de telle ou telle aria. On sait très bien que c’est rarement de la grande littérature. Ce qui nous fait vibrer, c’est l’art du chant, et ce soir, c’est l’art du chant baroque dont Cecilia Bartoli est bien l’un de ses plus grands ambassadeurs. Sans oublier pour autant qu’il n’y a pas que des vocalises, et qu’elle est tout aussi captivante dans la beauté élégiaque d’une cantilène, d’un lamento, beauté magnifiée par une voix chaude au souffle infini.
Comme à l’accoutumée puisque reposant sur le même principe, à savoir, un nouveau CD et une grande tournée promotionnelle, le support de ce récital, c’est le compositeur Agostino Steffani. Encore un programme dont personne, à ce qu’il me semble, n’a eu l’idée. “Bosseuse“ acharnée, avide de nouveautés, la cantatrice ressuscite ce prêtre-diplomate-musicien resté jusqu’à présent dans l’ombre, ce qui paraît assez incroyable. Un vrai travail encore de musicologue, un de plus.
Ceux qui ne pourront être là le soir du 18, se consoleront avec le CD, Mission qui n’est pas seulement l’enregistrement de 24 “morceaux“ mais aussi une mine de renseignements avec paroles et historique et tout ce que l’on peut savoir sur A. Steffani à ce jour. On appelle cela, un produit, en l’occurrence, un fort beau produit.
Cecilia Bartoli est accompagnée par le Kammerorchester Basel.
[ RAPPEL à propos de la sortie du dernier CD : La Bartoli, le Usain Bolt du chant : Mission accomplie
La comparaison mérite bien sûr quelques précisions !! Mais l’arrivée sur les têtes de gondole de son dernier “bébé“ intitulé Mission ne fera que conforter un point de comparaison, à savoir, Cécilia court devant, et derrière, une meute essaie de la rattraper, en vain. Catégorie chant baroque, la course en tête paraît d’actualité pour quelque temps encore, et le combat presqu’injuste si l’on ignore ou feint d’ignorer la somme de travail qu’il y a en amont. Ce dernier CD le prouve encore, s’il en était besoin. L’art de la vocalise est toujours aussi confondant.
D’accord, il n’y a pas de concurrence puisque les plus de vingt extraits sont des inédits, ou presque. Mais, encore fallait-il les découvrir, et leur auteur dans la foulée. Qui connaissait le dénommé Agostino Steffani, ce mystérieux compositeur baroque ?
C’est pourquoi, il fallait s’adjoindre les services de la reine du polar américaine Donna Leon qui “sort“ à l’occasion son dernier roman, Les Joyaux du paradis, dont l’héroïne est Caterina, une musicologue qui tente de remonter le fil de la vie de Steffani. La “com“ est au top !
Si, d’autre part, Usain a le crâne rasé, Cécilia nous la joue cantatrice chauve, ce qui nous donne une couverture qui peut difficilement passer inaperçue !! Un point qui ainsi les rapproche, tandis qu’un autre les éloigne, un peu, beaucoup ? Usain n’est pas un acharné de l’entraînement, dit-on, tandis que notre diva est bien en perpétuelle effervescence. La nature lui a fait cadeau de certaines possibilités vocales mais fallait-il encore les utiliser au mieux. Qu’on aime, ou qu’on déteste le résultat, c’est une qualité que l’on ne peut discuter.
Tout comme Philippe Jaroussky présent sur le CD pour quatre duos dont on ne dira rien. Simplement, on pouvait se douter que ces deux artistes finiraient bien par se rencontrer ailleurs que sur scène.
Quant à l’accompagnement, l’orchestre I Barocchisti sous la direction de Diego Fasolis, dès les deux premiers airs du CD, il vous captive et ne vous lâche plus.
Je vous le dis, un nouveau petit joyau, s’ajoutant à une liste déjà fort longue, qui va réjouir les “fans“ et rendre plus aigris encore ses détracteurs ! Tant pis pour eux.
Toulouse et sa région ont bien de la chance. Après Gluck (récital doublé), Salieri, Opera proibita, La Malibran, Sacrificium, Haendel, voici Mission et l’ombre d’Agostino Steffani. Une fête pour le chant, assurément, et une fois de plus, mission accomplie ! ]
Michel Grialou
mardi 18 décembre 2012 – Halle aux Grains / Réservation