Concert à la Halle aux Grains, dimanche 21 octobre
Programme
Patrick Burgan : Absence
Zad Moultaka : Lama Sabaqtani
Alexandros Markéas : Medea Cinderella
Frank Martin : Messe
Jean-Sébastien Bach : Magnificat BWV 243
Chœur de chambre les Éléments
Orchestre Les Passions
Ainsi on peut toujours être sérieux même quand on a 15 ans. Et ce concert présenté et coproduit par les éléments, Odyssud Blagnac et le Festival International Toulouse les Orgues en est la preuve sonore.
Ce concert de célébration des 15 ans de l’ensemble Les Éléments dirigé par Joël Suhubiette aura pris les aspects d’un beau cadeau d’anniversaire, mais offert au public. Cet ensemble exceptionnel est enfin reconnu à sa juste valeur, et elle est immense, aussi bien en France, mais aussi en région Midi-Pyrénées où longtemps il ne fut pas prophète en son pays.
Odyssud a su parmi les tout premiers en faire des partenaires en résidence, et leur permettre de réaliser des programmes de plus en plus ambitieux.
Car Joël Suhubiette ne se contente pas d’exploiter un fonds de commerce de musique baroque, qu’il a eu tout le loisir d’approfondir aux côtés de Philippe Herreweghe au festival de Saintes. Il est allé très tôt interpréter des œuvres contemporaines, des œuvres peu jouées, et il a passé bien des commandes à de jeunes compositeurs comme Patrick Burgan, Zad Moultaka, Alexandre Markéas, et d’autres encore.
Le programme du concert-anniversaire est un peu le résumé des dernières années d’activité de cet ensemble, avec des créations déjà entendues ces dernières années, avec en prime une messe presque inconnue du compositeur suisse Frank Martin, et enfin en guise de récompense le Magnificat de Bach, qui manquait encore à cet ensemble qui déjà a brillé dans la Messe en Si, l’intégrale des Motets et des passions.
Un long compagnonnage avec l’orchestre de Jean-Marc Andrieu, Les Passions, aussi bien autour du cher Jean Gilles que d’autres compositeurs, est aussi célébré lors de ce concert où la totalité de l’orchestre Les Passions est aussi invitée.
Les parties de programme contemporaines ont permis donc d’entendre, voire de réentendre, des pièces de Patrick Burgan, Zad Moultaka, presque compositeur en résidence pour cet ensemble, Alexandros Markéas.
L’œuvre de Zad Moultaka, jeune compositeur libanais, pièce sur les 7 dernières paroles du Christ en croix, déjà apprécié lors d’un concert sur les Voix de la Méditerranée, permet des effets choraux impressionnants, allant du sifflement, à l’écartèlement des sons. Le chœur éparpillé dans l’espace enveloppe en fait le public dans ces chants de douleur visant au « rassemblement des fragments du corps ».
C’est d’ailleurs le choix judicieux de Joël Suhubiette d’avoir retenu des pièces permettant d’apprécier un ensemble à géométrie variable.
La pièce Medea Cinderella d’Alexandros Markéas, associant curieusement la rage folle de Médée à la naïveté de Cendrillon, pousse encore plus loin la spatialisation des sons, et les cris de honte « Rima, Rima-Honte, Honte » sonnent encore à nos oreilles. C’est ce qui a le plus captivé notre attention de tout ce concert.
La Messe pour double cœur a capella de Frank Martin, 1890-1974, fut composée en 1922 et revue en 1926, et ensuite volontairement perdue au fond d’un tiroir puis enfin crée en 1963. Lui le fis de pasteur, a voulu faire une œuvre œcuménique, simple et immédiate.
Se voulant comme son collègue Henri Honegger accessible au grand public, elle est d’une écriture limpide, s’appuyant parfois sur le grégorien, et surtout intéressante dans ses jeux d’échanges entre les deux chœurs. Mais ceux-ci restent le plus souvent sagement à leur place et ne s’interpellent pas comme dans l’ouverture de la Passion selon Saint-Matthieu de Bach. Et il faut toute la ferveur du chef et du double chœur pour faire vivre cette œuvre qui est souvent au seuil de l’académisme, alors que ce compositeur est aussi celui de bien des chefs d’œuvres (Jederman, Symphonie concertante, Golgotha…). Mais c’est une œuvre de jeunesse dont Frank Martin ne voulait pas d’exécution publique, la voulant « comme une affaire entre Dieu et moi. Elle dut attendre quarante ans sa première exécution.». Elle aura encore plus attendu pour sa réalisation à Toulouse.
Mais c’est avec l’arrivée de tout l’orchestre des Passions que l’apothéose du concert se déroulait dans une sorte d‘actions de grâce pour le chœur et l’orchestre. Pour une fois en auditeur, Jean-Marc Andrieu suivait avec passion cette exécution. Elle a d’ailleurs commencé de façon un peu laborieuse avant que les cuivres et le chœur ne trouvent leur point d’équilibre.
Il faut dire que le tempo très allant, et la façon très « sautillante » de phraser les paroles, ajoutaient à la difficulté de l’interprétation. Les solistes ont vaillamment tenu leur partie, étant souvent poussés à leurs limites, ce qui ne fut pas l’orchestre très aguerri, et dont le premier violon, le hautbois solo, le violoncelle solo sont allés très haut dans l’exaltation.
Mais la récompense fut le bis, rien de moins que le chœur d’ouverture de la cantate 140 de Bach « Wachet auf, ruft uns die Stimme », qui fut un long et grand moment d’émotion avec en prime l’adjonction d’un nouveau choriste émérite, Jean-Marc Andrieu se mêlant au chœur.
Quel dommage que cette cantate ne fût pas donnée en entier !
Ce concert n’aura pas été un aboutissement, mais un parcours d’étape pour un ensemble s’inscrivant dans la durée, et dont certains verront, nous l’espérons, le concert anniversaire pour les 30 ans de cet ensemble.
Gil Pressnitzer