A l’heure où le Hip-Hop se développe en France (et notamment à Toulouse, 31, ville d’origine du génial groupe KDD, où évoluent de nos jours le beatmaker Al’tarba, Furax et bien d’autres), qui est le second pays producteur de la scène rap après les Etats-Unis, il est alarmant de remarquer que la stigmatisation de ce mouvement culturel semble avoir atteint son apogée.
En effet, le rap, forme d’expression vocale appartenant au mouvement culturel qu’est le Hip-Hop, créé dans les années 70 aux Etats-Unis, traîne derrière lui une réputation bien peu étincelante. Considéré comme une musique de délinquant, faite par des délinquants et écoutée par une jeunesse majoritairement défavorisée, et donc enclinte à la violence, le rap français fait peur, rien qu’avec « l’accent de racaille » des artistes voulant seulement s’exprimer (pourtant les cris et hurlements de Janis Joplin n’ont pas faits d’elle une chanteuse inquiétante ou potentiellement dangereuse). Mal (et peu) représenté dans les médias, il est rejeté, voire dénigré par la population française, qualifié même de « sous-culture » durant un débat télévisé par Eric Zemmour. Et si l’on écoute les chansons qui passent sur les radios actuelles (comme « Skyrock » ou « NRJ »), on en viendrait même à en avoir la même opinion. Les thèmes sont les mêmes: drogue, violence, sexe et argent; mais, en passant, certains de ces thèmes sont aussi les mêmes que les chansons pop à succès actuelles. En écoutant uniquement ces sons-ci, et croyant que le hip-hop se résume à ceux-ci, il est vrai que notre point de vue sur le rap français pourrait être péjoratif. Mais le message originel du Hip-Hop -et beaucoup de gens semblent l’oublier- est contestataire, politique, et porte sur la dénonciation des problèmes sociaux dans un pays; et le rap français est à la base bien plus politique et engagé que le rap américain, plus hédoniste. Un des rôles du Hip-Hop, à l’époque, était de canaliser la frustration des jeunes issus des quartiers défavorisés, par la parole plutôt que le passage à l’acte. De nos jours, les artistes représentant le rap français dans l’opinion commune, comme Booba ou La Fouine, prônent la violence, l’usage de drogues et la réussite à travers l’argent, les belles voitures et belles femmes, utilisées dans leurs clips comme des objets sexuels. Mais est-ce vraiment leur faute ? Ou plutôt celle d’une société qui enseigne à la jeunesse d’aujourd’hui qu’il faut consommer pour exister ? Ce détournement du message originel du rap est en fait une logique commerciale, qui change non seulement l’essence du Hip-Hop mais également ses enjeux.
Cependant, ceux qui rappent à la lumière des projecteurs médiatiques ne sont pas les seuls à s’exprimer un micro en main. Nombreux, et ignorés, sont ceux qui se battent dans l’ombre. Le rap underground, qui persiste depuis une vingtaine d’années en France, fait passer un tout autre message que celui des rappeurs qui passent sur MTV (première chaîne musicale actuelle). Des artistes comme le groupe KDD, précédemment cité, ou Kery James, qui, petit à petit, commence à être médiatisé, diffusent un message d’amour, de compréhension et de pardon, sous un angle contestataire et poétique, dans les domaines politiques et sociaux. Un très petit nombre de la population française connaissent ces artistes pourtant engagés, qui ont consacrés leur vie à leur art, et qui n’ont pas du tout la même vision du Hip-Hop de ceux qui s’en font ambassadeurs, et qui malheureusement, sont des instruments de la consécration de l’ordre social établi. Demandez-autour de vous, qui connaît N.A.P., KDD, Malédiction du Nord ou la Scred Connexion ? Ces groupes-ci étaient des héros dans leurs quartiers et défendaient des valeurs qui sont à l’opposé de la délinquance ou du matérialisme exacerbé, valeurs qui règnent dans les lycées de notre pays, et même nos collèges, où la marijuana commence à faire ses ravages dans les cerveaux des français du plus jeune age. Ces valeurs commencent à s’effacer, et la tradition du rap underground, prisonnier de la frustration de ne jamais toucher les sommets, devient peu à peu véhiculaire de haine et de violence à son tour. Les groupes comme N.A.P. se font rare, et la poésie, la beauté du rap français et universel s’éteint avec eux.
La Scred Connexion
De nos jours, porter une casquette ou une capuche sur la tête est devenu signe de potentielle délinquance, et ce serait hypocrite de prétendre le contraire. Pourtant, un style vestimentaire ne devrait jamais faire de quelqu’un un personnage qu’il n’est pas. Les préjugés, les a priori que l’opinion a sur le Hip-Hop sont dévastatrices, et tuent un art qui n’a jamais voulu ou espéré être ambassadeur de violence ou de mépris. Mais les médias et la société, obnubilés par le bénéfice, diffusent cette haine et cette violence (qu’ils répriment pourtant) de façon paradoxale, diffusées par ces artistes qui représentent à tort le rap. La jeunesse d’aujourd’hui, qu’elle vive en banlieue ou dans des quartiers aisés, écoute ces pseudos-rappeurs « bling-bling » qui incitent à la violence et appellent les femmes des « bitchs » (pute en anglais); j’ai su cela après avoir côtoyé les deux milieux, pourtant bien éloignés. Ce qu’il en ressort, c’est tout simplement la consolidation d’un système social inégalitaire, à laquelle le rap participe comme medium à la fois structuré et structurant, et la perte des valeurs originelles que diffusait le Hip-Hop au début des années 80 et 90. En se rendant compte que cette jeunesse matérialiste, qui grandit avec une musique propageant des pensées idolâtrant l’argent et la consommation, est la future population active française, on peut s’alarmer en se demandant quel sera leur comportement, et s’ils exécuteront les enseignements inégalitaires empreints de violence de leurs modèles musicaux de réussite.
Mais on peut aussi se demander comment serait la société dans laquelle on vit si elle diffusait des chansons propageant des messages d’amour et de tolérance ? Si elle passait à la radio et sur les chaînes de télévisions actuelles des musiques suppliant le pardon et le respect de soi-même et d’autrui ? Le Hip-Hop, rap français ou quel que soit sa dénomination, est un art qui pourrait éduquer de façon tout autre les enfants français, en leur inculquant des valeurs respectables, propageant l’amour et le respect dans les rues de banlieue ou des quartier riches, qui sont ravagées de nos jours par la drogue et le mépris, prônées par les morceaux passant en boucle dans les radios françaises. Cependant, cette volonté de paix n’est pas bien vue économiquement, et l’égalité ferait évidemment redescendre de plusieurs étages ceux qui sont situés aux balcons. Abrutir le peuple, en leur servant des chansons adulant leur propre autodestruction ou des émissions de télé réalité comme « Secret Story » est un des moyens principaux de ceux qui dirigent notre monde pour garder leur pouvoir.
En passant, voici une citation d’Eric Zemmour portant sur « Secret Story », homme que je respecte -contrairement à la plupart des rappeurs actuels- même s’il a qualifié de « sous culture » le Hip-Hop (tout simplement car le respect compte parmi les valeurs que m’a inculqué ce dernier): « J’y vois une machine de guerre émotionnelle qui tue la réflexion. C’est le corollaire du capitalisme de séduction, qui passe par l’abrutissement de téléspectateurs formatés pour devenir des consommateurs. »
Je finirais avec une phase de KDD, issue de la chanson Le Geste, elle-même issue de l’album « Une couleur de plus au drapeau »:
Plus d´amour dans vos yeux pour qu´on vive mieux ».
Voici la chanson: http://www.youtube.com/watch?v=RjV6EGajZAQ
Et voici le clip d’Une princesse est morte, autre chanson du groupe toulousain: http://www.youtube.com/watch?v=WC9hFbXDIG8