In memoriam Xavier Darasse
Lancé dans le déferlement à la fois sacré et païen du Sacre du Printemps de Stravinsky aux grandes orgues Cavaillé-Coll de Saint Sernin par Olivier Latry, le festival Toulouse les Orgues rend un hommage émouvant et joyeux à Xavier Darasse, lui-même si plein de vie et d’émotions, lui qui savait offrir de façon débordante ses coups de cœur, ses enthousiasmes, ses jardins secrets, en partage à tous, lui qui avait mille idées à la seconde.
Et les orgues de Midi-Pyrénées qu’il eut à cœur de sauver d’abord, puis de faire restaurer, mais aussi d’en construire de neufs, lui doivent tant, aussi ils semblent maintenant résonner pour lui qui savait les toucher au fond de l’âme. Lui le touche-à-tout rebondissant du monde qui l’entourait.
Les orgues de France aussi, car il fut le premier à dresser un inventaire de ce merveilleux patrimoine. Michel Bouvard son directeur artistique, mais aussi un des très proches élèves de l’immense professeur que fut aussi Xavier Darasse, après avoir fondé avec Jan Willem Jansen en 1996 ce festival, a su s’inscrire dans l’esprit ouvert, surprenant, débordant de malice, d’énergie et d’amour de leur maître.
Xavier Darasse évoqué non pas de façon pieuse, ce qui l’aurait hérissé, mais avec fraternité, et humour par Michel Bouvard qui rappela le parcours à la fois tragique et extraordinaire de cet homme multiple, véritable tournoiement de curiosités insatiables, de découvertes, d’émerveillements de gamin, de profondeur de foi.
Ce lutin lumineux, disparu en 1992, comme son maître Olivier Messiaen, mais lui à 58 ans à peine, fut tout à la fois : organiste virtuose, compositeur considérable, improvisateur de génie, directeur de conservatoire, producteur de 1965 à 1975 d’émissions au ton décalé sur France Musique, animateur à l’instinct prodigieux (grâce à lui Harnoncourt, Ligeti, Savall, Deller, Xenakis, Leonhardt souvent, Scott Ross…) furent programmés à Toulouse, pédagogue, créateur d’événements et festivals, provocateur tendre et charmeur. Il fut tout cela, et plus encore. En fait il fut un homme d’amour et de joie. Sa silhouette en bicyclette arpente encore notre mémoire, et on se surprend à le saluer encore et toujours vingt après.
Ses notes de musique, ses paroles, ses éclats de rire, résonnent encore auprès de ceux qui, comme moi, auront eu le privilège de le côtoyer longuement et d’apprendre par sa seule présence plus que mille ans de livres ou de rencontres.
Xavier Darasse donc qui voulait absolument faire du roi des instruments, plus qu’un simple instrument liturgique statique tapi dans les églises, mais l’ouvrir sur l’espace public, lui donner de l’air, de la vie – Je veux faire sortir l’orgue de sa chapelle, disait-il souvent – doit se reconnaître dans la programmation du festival qui certes va faire entendre quelques-unes de ses œuvres (Organum 3 et 5, Instants passés), un hommage de Patrick Burgan, D.A.R.A.S.S.E sur les esquisses de son opéra inachevé, « Le Portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde, mais qui en 40 concerts va aussi célébrer le riche patrimoine de notre Région, et la belle floraison de jeunes organistes qui y ont poussé.
Cette riche programmation s’appuie sur la volonté de faire connaître la plupart des orgues disponibles, de faire entendre quatre siècles de musique allant de la musique ancienne, à la musique contemporaine bien sûr, au jazz que Xavier Darasse aimait tant, comme la musique de l’Inde d’ailleurs.
Cette volonté d’éclectisme et de découvertes du festival est l’essence même de ce que fut Xavier Darasse. Le tout sans se prendre trop au sérieux, comme lui si merveilleux et si modeste.
Bien entendu des grands noms de l’orgue ou du clavecin seront présents Bernard Focroulle, Olivier Latry, Michel Bouvard, Blandine Rannou, Wolfgang Zerer…) pour renforcer la stature internationale de ce festival, mais la part belle sera faite aux jeunes interprètes.
Le programme fort bien réalisé du festival donne le détail et surtout l’envie d’assister à ces concerts.
Il est dommage de mettre en exergue tel concert par rapport à un autre, mais cela est si tentant, quoiqu’injuste.
Alors très brièvement citons :
– les journées-région, véritable promenade à la découverte des orgues en Région.
– Le concert d’ouverture avec le Sacre du printemps en transcription pour orgue et à quatre mains avec Olivier Latry et Shin-Young Lee.
– « Inviolata », grandes polyphonies de la Renaissance avec les Sacqueboutiers et pour la première fois la Maîtrise Notre-Dame de Paris.
– Les Variations Goldberg de Bach par Blandine Rannou.
– Le concert de l’ONCT avec Michel Bouvard avec des œuvres de Darasse, Poulenc, Berlioz, mais aussi en liaison directe l’orgue de la cathédrale Saint-Étienne.
– Le traditionnel Ciné-concert avec le film muet de Louis Feuillade de 1924, Pierrot Pierrette.
– L’hommage à Xavier Darasse par son ami si proche, le compositeur Gilbert Amy, qui pour lui délocalisa la classe d’orgue et de clavecin de Lyon à Toulouse. Ce concert mêle de façon troublante la musique de Gibert Amy et celle de Guillaume de Machaut.
– La nuit de l’orgue non-stop qui sera retransmise sur France Musique.
Et aussi du jazz, un danseur soufi, une messe de Darasse, le Magnificat de Bach par les Éléments, de l’Elvis Presley… et bien d’autres ratons laveurs qui auraient forcément séduit Xavier Darasse.
20 ans après « il reste quand même des choses » de Darasse, de sa présence et de son enseignement, de son rayonnement, et ce festival en est la preuve incarnée.
Le feu allumé par le météore Xavier Darasse brûle encore.
Gil Pressnitzer
Festival International Toulouse les Orgues – du 09 au 21 octobre 2012