Ce soir d’été, la scène de la Cave Poésie semble sortie d’un tableau de Nicolas de Stael avec son clair obscur bleu club de jazz, son rouge majeur et ses points d’exclamation jaunes : merci à Martin, l’éclairagiste du lieu, car c’est l’écrin idéal pour le concert acoustique de deux « ténors » de notre Région, Jean-Marc Padovani (qui joue du sax ténor justement mais aussi soprano) et Philippe Léogé au piano.
Doit-on présenter Léogé*, le créateur du mythique Big-Band 31, directeur artistique du Festival Jazz sur son 31**, artiste aux multiples facettes, devenu aujourd’hui un musicien incontournable de la scène hexagonale ? Il compose, arrange, improvise et enseigne, ne connaît pas de frontières du Jazz à la Pavane (du nom du concert qu’il a créé et donné en concert à Odyssud avec les Sacqueboutiers ; le disque sortira cet hiver) ; il anime aussi avec passion le Big Band 31 Cadet composé de jeunes musiciens de 10 à 16 ans, tous issus des Ecoles de Musique du Département, dont certains renaissent dans cette ensemble et cette musique après de rudes épreuves.
Padovani, après Louis Sclavis ou Paul Motian, après l’écrivain Enzo Corman au théâtre, après Bijane Chemirani, Richard Galliano, Franck Tortiller (sur son disque Nocturne, label bleu-mca-1994) etc., a confronté en 2011 son univers musical avec celui de Vicente Pradal dans Inmediato, rencontre du jazz et du flamenco, où ils ont dialogué en toute liberté sur les grands thèmes de l’Espagne et du Sud (ils se retrouveront en 2013 avec l’Orchestre de Chambre de Toulouse).
Après que le second ait invité le premier lors de sa carte blanche de Jazz sur son 31 en 2008, ils se sont vite accordés et c’est en duo qu’ils proposent une musique éclectique et généreuse, alliant reprise de thèmes de Jazz, d’airs issus des musiques traditionnelles (airs de la montagne noire, airs afghans…) ou de musique classique à des compositions originales. Comme l’a écrit Gil Pressnitzer***, « les deux complices unis dans la même respiration intérieure, le même souffle poétique, déroulent des rubans aériens de notes de sensation lyrique ».
Il s’agit ce soir encore et toujours d’improvisation sur des thèmes aussi divers et variés que le jazz bien sûr, mais aussi la musique classique et la musique traditionnelle. Improvisée, la musique le fut souvent à l’origine dans les traditions indiennes ou extrême-orientales, avant d’être écrite, codifiée à la note près, même si certains musiciens classiques comme Bach, Beethoven et certains organistes ne l’ont pas dédaignée. C’est le Jazz, dans les ragtimes puis dans les ses grandes heures, qui ont donné en Occident ces lettres de noblesse à cette technique. Et comme on le sait, on ne peut improviser que sur ses bases solides : solides, ces deux bonhommes le sont, mais au final, on a l’impression que c’est facile ; c’est la classe des grands.
Thème, solo, chorus ; presque comme en littérature, thèse, antithèse, synthèse, ce qui ne déplait pas semble t-il au « littéraire » Padovani, qui cite par exemple, après le concert, La Présence lointaine du philosophe et musicologue Vladimir Jankélévitch*****.
Les deux musiciens nous offre un pot-pourri de leurs compositions, au parfum agréable, mais il s’agit de fleurs bien vivantes que l’on peut déjà entendre en partie sur leur premier disque au titre prometteur Les yeux de l’Ange Angel Eyes. Et rafraichies ce soir pour nous.
A côté de thèmes « jazz », comme Silence ! Monk tourne, Valse tard ou l’hommage de Léogé pour l’immense Billy Holiday à la terrible jeunesse et au destin fracassé (Billie Vacances comme le dira joliment Padovani à un tout petit garçon quelque peu égaré dans ce lieu d’adultes à qui il était difficile d’expliquer cela), et la panthère rose de Padovani qui traverse la scène sur son « Crime était presque parfait », je déguste leur adaptation de la 1° Gymnopédie d’Erik Satie (que cet esprit frondeur aurait sans nul doute savouré), ou Lo vespre de la noça, ce traditionnel occitan où le sax soprano remplace la boudègue, (la cornemuse en peau de chèvre).
Et l’Air Afghan qui souffle sur ce concert, s’il n’est pas une compagnie de charter, nous transporte en 1° classe, comme tout le programme ; on me pardonnera cette pointe d’humour tirée par les cheveux, tant celui-ci est présent dans les titres du duo et aussi dans leur interprétation : Padovani manifeste parfois son contentement par des « it », des bourdonnements d’abeille faisant son miel ; Léogé a souvent une expression d’enfant gourmand et coquin (birichino comme disent les Italiens), au grand bonheur de la gent féminine majoritaire.
Enfin, j’apprécie tout particulièrement un nouvel arrangement pour les Chants de la Terre de Déodat de Séverac qu’ils vont revisiter à Saint Felix de Lauragais la semaine prochaine*****. Ce soir, ils ont interprétés Les Moissons : le rythme agreste du piano et les sonorités de clarines du sax soprano nous plongent dans une ambiance à la Jean-François Millet, l’aquarelliste de l’Ecole de Barbizon ; et bien sûr dans celle du grand Déodat de Séverac, poète attaché à son terroir méridional pour lequel la suite Cerdaña, peut-être son chef-d’œuvre, a illustré son amour. Nul doute que le 4 août, dans le cadre du Festival qui porte son nom, ce sera une belle soirée avec Léogé et Padovani à la Ferme du Ravan, et que le lendemain, A l’aube dans la montagne,
Le long du ciel grenat, d’un grenat d’iris, et roux, d’un roux à peine émeraudé,
Les cimes s’éveilleront une à une, nimbées de gaze, brodée d’opales et de poussières d’or.
Quelques nuages ténus oubliés par la brise s’attarderont aux caresses grisantes des bruyères.
Les vallées dans les voiles de lys poudrés de lilas sembleront errer autour des peupliers qui fusent à l’infini vers le regard narquois de la lune.
Peu à peu, l’horizon s’affirmera en des gestes de flamme
Qui planeront un instant et s’essorent vers les plaines baignées de sommeil;
Et des sommets ensanglantés, un ruissellement de rubis se précipitera le long des roches…
(poème de Déodat de Séverac)
En attendant, ne boudez surtout pas votre plaisir et courrez à la Cave Poésie****** jusqu’au Samedi 28 Juillet à 19h30 en compagnie de ces deux compères en bonne musique, sous l’œil rassuré de Réné Gouzenne, pour un concert aux chaudes tonalités picturales, une soirée chez Nicolas de Stael.
E.Fabre-Maigné
24 juillet 2012
* http://www.philippe-leoge.com
** jazz31.com prochaine édition du 12 au 27 octobre
*** http://www.jeanmarcpadovani.fr
**** http://www.espritsnomades.com/sitejazz/padoleo/padovanileoge.html
***** Essais consacrés à Isaac Albeniz, Déodat de Séverac et Federico Mompou (Paris Seuil 1983)
****** Cave Poésie 71, rue du Taur – 31000 Toulouse tél : 05 61 23 62 00 (métro Capitole ou Jeanne d’Arc)