Et bien dansez maintenant !
Michel Brun, l’Ensemble Baroque de Toulouse, de nombreux invités professionnels ou amateurs, vont faire l’éloge de la danse le temps d’un week-end irriguant ainsi toute la ville, aussi bien dans des endroits patrimoniaux que dans des lieux insolites.
Car fidèle à son credo de rendre Bach accessible à tous, de dépoussiérer cette intimidante statue du fleuve nourricier de tant de musiciens, de le rendre accessible à tous, mélomanes chevronnés ou simples auditeurs vierges de préjugés, Michel Brun joue sur le décalage et l’étonnement pour faire à chaque fois redécouvrir une nouvelle facette du Kantor de Leipzig que l’on imaginait trop souvent embaumé dans sa rigueur et sa piété religieuse.
Or il était en fait un bon vivant, un homme de partage, qui savait aussi bien faire parler la spiritualité la plus élevée que la joie sereine. C’est aussi bien le joyeux compagnon des amis musiciens, réunis au Café Zimmerman, un peu l’équivalent de ce qui plus tard sera appelé schubertiades pour Schubert, mais que l’on ne saurait désigner de bacchanales dans ce cas, car seules la bière et la musique étaient amoureusement célébrées.
Pour briser les murs des habitudes musicales , des rituels des concerts, afin de faire pétiller un festival festif, Michel Brun s’appuie sur trois dogmes de sa foi de lutin musical :
– faire des concerts courts, de 30 minutes au plus, et dans le maximum d’endroits les plus divers et les moins intimidants (bars, espaces publics, port de la Daurade, cours d’hôtels particuliers, facultés, pause musicale…). Au plaisir d’entendre de la belle musique s’ajoute la joie enfantine d’un marathon permettant de se précipiter de lieu en lieu afin de butiner des « fleurs de Bach ».
– pratiquer des prix très bas pour que chacun puisse y avoir accès, et un forfait bon marché permet de tout entendre à condition de voler rapidement sur les ailes de la musique.
– montrer J.S Bach sous ses aspects les plus divers, les moins connus pour montrer qu‘entre ce géant du 18éme siècle et notre temps d’aujourd’hui le choc est toujours enrichissant et que Bach nous parle encore et encore interrogeant nos compositeurs contemporains.
Le thème choisi s’il semble presque provocateur, Bach et la danse et pourtant évident. En effet comme dans la musique de la Renaissance, la musique baroque se nourrit bien sûr du chant, souvent religieux, mais de la danse qui coule aussi bien dans le monde sacré que dans le monde profane, et la frontière était poreuse en ce temps-là.
Souvent évidente dans les œuvres instrumentales (Suites pour violon ou violoncelle, suite pour orchestre, concerti….), elle est aussi présente au cœur de ses cantates. Passacaille, bourrée, loure, courante, gigue, contredanse, branle, chaconne, gavotte, gaillarde, musette et tant d’autres peuvent s’entendre pour célébrer la foi. Génial, humble et modeste ainsi Michel Brun qualifie Bach. Ce compliment peut lui être retourné, tant son enthousiasme, sa ferveur de partage et d’amener un nouveau souffle un nouveau public a changé depuis le cycle des Cantates sans filet, jusqu’à ce festival, la façon de recevoir la musique : avec joie et compétence. Telemann, Marin Marais, le tango, la musique ancienne, des créations sont aussi de la fête.
Un exemple entre tous : le samedi à la même heure la plupart des bars toulousains donneront à entendre quelques minutes de Bach.
Ce festival Passe ton Bach d’abord devient un phénomène musical à Toulouse. Depuis 2007 le nombre de public a simplement doublé, passant à 16 200 entrées en 2011, sachant de plus que chaque cantate une fois par mois réunit entre 500 et 600 personnes cela fait près de 20 000 personnes qui se meuvent et s’émeuvent à la musique de Bach, toutes générations brassées.
Puisqu’on parle chiffres, un tel festival requiert 110 musiciens professionnels, 130 amateurs, 120 bénévoles. Si les musiciens locaux restent au centre du projet, le festival s’étend aussi bien avec des artistes venus de Cuba, d’Angleterre, d’Espagne (Saragosse), de Belgique, du Japon d’Argentine… Il va essaimer en Catalogne, en Eurorégion, à Carcassonne.
Le festival 2012 fait la part belle à la création (15 !), aux mélanges des genres avec des danseurs hip-hop sur la musique de Bach et de prestigieux invités (John Elliot Gardiner dont «le pèlerinage Bach» a changé notre approche des cantates), mais ici dans la musique de Tallis, Byrd, Ophélie Gaillard qui en est à sa deuxième intégrale des suites pour violoncelle seul, où d’ailleurs elle met puissamment en exergue la notion de danse, Michel Bouvard, Jean-Luc Ammestoy, Manu Causse, et bien d’autres tout autant talentueux.
Des conférences, des cours de danse, un grand bal baroque agrémentent ce festival.
Décidément Passe ton Bach d’abord aura apporté fraîcheur, haut niveau d’interprétations, bonne humeur et surprises. Les murs se sont brisés entre élites mélomanes et simples amateurs. La Ville de Toulouse l’a bien compris qui a notablement renforcé son soutien à ce moment de musiques sans frontières, sans tabous, sans barrages culturels. Ces folles journées de Toulouse qui drainent une houle de gens courant de concert en concert, sont l’une des choses les plus réjouissantes qui soient arrivées chez nous depuis longtemps.
Si Bach doit beaucoup à Dieu et réciproquement, Bach aujourd’hui doit beaucoup pour sa réactualisation dans ce tourbillon de danses et de musiques à Michel Brun et son Ensemble Baroque. Ce passeur rayonnant montre toute la joie jaillissante de l’œuvre de Bach. Sa passion est aussi volonté humble et fervente de faire butiner toute une ville sur des notes de musique. Le programme est tellement divers et riche que tous peuvent y trouver émerveillement et envie d’aller plus loin dans la musique de Bach.
Gil Pressnitzer