du 28 février au 10 mars 2012
Ode au temps qui reste
Le poème chanté des séparations et de la sérénité en chemin
Menant toujours avec authenticité et ténacité le long chemin des départs et des séparations, explorant ses caravanes intérieures, Bruno Ruiz veut donner à partager ses émotions « à ceux qui ont besoin de se recueillir sur eux-mêmes, et sur le sens de leur existence ». Au prix d’un très long travail d’écriture, au moins trois ans, et d’une collaboration fusionnelle avec le pianiste Michel Goubin, prêt à toutes les traversées et mêlant souvent sa belle voix à celle de Bruno Ruiz. Seul Michel Goubin pouvait être le bateau ivre de ces traversées de l’âme, qui ne pouvaient s’exalter que libérer de tout corset musical. Et un moment intense s’écoule devant nous.
Bruno Ruiz « remue le silence », dialogue avec Arthur Rimbaud, fait le tour de sa maison intérieure, de l’acceptation de la vieillesse qui commence à monter son museau, et à s’enrouler contre nous, de l’amour, de la mémoire du père, de l’enfance, des blessures dans « le tremblement des pierres » et de la pluie qui tombe définitivement.
Ce poème chanté sous cette forme d’ode n’est qu’une partie de ce qui à déjà était écrit et sera un jour, nous l’espérons, un livre. Blessé sans doute, mais acceptant l’aujourd’hui, faisant amitié avec tout ce qui respire, Bruno Ruiz dans une nouvelle forme d’écriture, veut aller vers la sérénité et un nouveau mode de partage vers les autres.
Ode au temps qui nous reste est cette dernière halte aujourd’hui de sa recherche constante, de son travail acharné pour la quête des mots justes, plutôt que beaux, ceux qui traduisent un état des lieux qui devraient aussi être celui des êtres. Aussi il ne s’agit pas d’un récital de chansons, mais où passent toutefois des chansons et l’aile des palombes de l’enfance. C’est un long poème chanté, une aventure de mots en collier de conscience. « Je ne suis pas ce que j’écris, j’écris ce que je voudrais être ».Mais que ce soit dans l’exil espagnol toujours présent, de cette Espagne qui s’éloigne de lui, l’amour du père, la présence des lèvres de sa mère, le goût d’herbe mouillée de l’enfance, la difficulté d’aimer et sa grandeur aussi. La joie de savoir autant le néant que de suivre une sauterelle qui marche.
Cette vie ainsi dévoilée doit être pour l’auditeur une réflexion sur la sienne propre.
Pour mener à bon port cette ode, longue suite de mots profonds, cela induit une présence sur scène différente de celle d’un chanteur, une complicité télépathique avec l’écrin musical de Michel Goubin, avec sa part d’improvisation, sa part d’épiphanie. Cette acceptation de la vie et de ses entrelacs, se traduit parfois de quelques aphorismes balisant ce fragile avenir, la seule chose qui soit vraiment irrémédiable.
Ce spectacle se fait parcours somnambulique par-dessus les fragilités et les doutes. On ne part pas, ce n’est que le temps qui nous éloigne, redit Bruno Ruiz. En dialogue avec Arthur Rimbaud qui irrigue en filigrane son texte :
On ne part pas. – Reprenons les chemins d’ici…. qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne. (Rimbaud, une saison en enfer).
Cette sagesse tentant d’être conquise s’adresse à chacun de nous, avec tendresse et profond lyrisme.
Bruno Ruiz parle d’un lyrisme néoromantique, je pense plutôt à une aveuglante beauté simple aux margelles des sentiments. Bruno Ruiz parle de peines apaisées, de l’acceptation des peines, de ce qui reste encore avant le néant. La révolte a pris les chemins de traverse de la rosée, elle reviendra sans doute un jour.
Frappé en plein vol par la suppression des aides à la création, décidée brutalement par le Conseil Régional, Bruno Ruiz a serré les dents et les poings et avec mille difficultés il a fait vivre ce dernier spectacle.
Et pour continuer avec Rimbaud avec La dernière innocence et la dernière timidité. C’est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Oui c’est dit et par la force de lecteur exceptionnel qu’est Bruno Ruiz, et bien sûr ses talents de chanteur, le flux continu de son poème qui sinue entre tant de beautés complexes, font de ces moments, bien court tant on est pris par cette magie sonore du récitant-chanteur et de son double au piano. Tout vient à nous comme en suspension. Comme en confession murmurée qui serait les nôtres aussi.
Jamais on ne décroche, grâce à la sculpture des lumières André Tailhades, le son doux et tendre de Jean-Jacques Vaudou, aux moments d’élévation du piano de Michel Goubin, et par ce grain de voix unique de Bruno Ruiz.
Chanter tout doucement. Aimer fidèlement. Vieillir sereinement.
Cette règle de vie est assumée, toujours en perpétuel équilibre avec l’abîme des émotions, avec cette rigueur autant dans le mot que dans les gestes qui lui font effacer tout superflu, tout effet racoleur. Il est nu sur scène, précis, profond. Il dit la vie définitive et le frémissement des tiges de coquelicot. Je ne serai jamais un autre, mais celui qui regarde et contemple.
Et à ceux qui savent s’abreuver dans la source des mots, il faut absolument venir entendre et voir, dans la forge de la voix de Bruno Ruiz, ce spectacle hors-norme, de ce poème-fleuve d’un homme qui est en marche, c’est bien notre frère qui nous parle, simplement éperdument, et tente de nous entraîner vers la pâle lumière de la sérénité. Et la barque nous emporte vers l’aurore.
Il faut accourir à la Cave-Po entendre cette Ode au temps qui reste pour garder les yeux ouverts et célébrer celui qui respire dans nos souffles.
Et le temps qui reste, qui nous reste, se raccourcit sans cesse. Mais il nous reste le pouvoir de rêver, et assister à ce spectacle de Bruno Ruiz, qu’il faudrait entendre et réentendre pour en déchiffrer toutes les strates, et cette invitation au voyage qui veut nous réapprendre l’écoute du monde.
Venez donc écouter un poète, l’espèce est en danger, donc il est urgent de célébrer Bruno Ruiz.
Gil Pressnitzer
Site Internet de la Cave Poésie