Une voix douce et hésitante me cueille au foie. Ce prince charmant tatoué, aux jeans déchirés, c’est Daniel Darc. Rescapé magnifique de tant de naufrages et d’épreuves, il est toujours là, irremplaçable, vivant, scintillant dans la nuit médiocre. Rencontre…
Quel que soit l’habilleur musical de vos chansons, c’est toujours aussi réussi. Etienne Daho, Bill Pritchard, Jacno, Frédéric Lo, aujourd’hui Laurent Marimbert (pourtant habitué à des horizons très différents du vôtre). Quel est votre secret pour toujours réaliser une alchimie avec tous ces musiciens et producteurs ?
Daniel Darc : J’essaie de m’entourer de personnes qui me comprennent, enfin qui comprennent mon univers (même si ça fait prétentieux de dire ça). Laurent vient d’un univers très différent, mais on est vraiment devenu des amis, et on va continuer à travailler ensemble. Je pensais que sa couleur plus variété donnerait un habillage plus léger à mes textes souvent glauques. Tout ce que j’aime, comme les Kinks, paraît léger mais c’est aussi très glauque et torturé. Je n’aime pas en rajouter. Si j’ai un texte un peu violent ou pessimiste, je n’ai pas envie en plus de faire une musique dessus à la Lou Reed avec Metallica !
C’est vrai que les Kinks ont écrit des chansons souvent socialement grinçantes comme « Dead End Street » ou « Dedicated Follower of Fashion »…
Daniel Darc : C’est extrêmement grinçant, et en même temps ce sont de belles ballades. Pour moi, « Waterloo Sunset » est une des plus belles chansons de tous les temps. J’adore Trenet aussi, écoute « La Folle Complainte »… ou la ficelle avec laquelle il se pend dans « Je Chante », personne ne s’en rend compte… C’est vraiment un beau truc.
Justement vous partagez ce côté poète avec Trenet. Contrairement à ce que vous dites dans l’une de vos « Variations », vous avez une voix très singulière et unique, avec une diction de poète et d’acteur. Un peu comme Lou Reed, Patti Smith ou Léo Ferré. On vous rapproche souvent de Gainsbourg (et c’est vrai encore sur un morceau comme « My Baby Left Me » dans votre nouvel album) mais rarement de Ferré. Pourtant il y a en vous deux des blessures communes et une poésie sensuelle.
Daniel Darc : J’adore Ferré. Une chanson comme « Richard ». Ou « La Solitude » avec laquelle il a réussi à faire ce que Flaubert voulait : faire un livre qui ne parle de rien. Ça m’exalte ! Récemment, on m’a aussi comparé à Antonin Artaud. Je ne sais pas si c’est pour le côté totalement barge (rires), mais j’étais content !
Vous chantez les filles et l’amour superbement. Sur cet album « Les Filles aiment les tatouages » comme « Un An et Un Jour » sur le précédent, ou « Je Suis Déjà Parti » et « Aussi Belle Qu’Une Balle » jadis… Ces chansons, vous les offrez à vos fiancées comme nous plus ordinairement des fleurs ou sont-ce plus des carnets personnels ?
Daniel Darc : C’est effectivement plus un journal qu’une offrande. Un journal au sens diary. Johnny Thunders disait « diary of a lover ».
Johnny Thunders, c’est encore quelqu’un dont on peut vous rapprocher…
Daniel Darc : Oui, Chet Baker aussi. Mais j’ai vu Thunders vingt fois sur scène, et j’avais souvent l’impression désagréable que les gens étaient là pour le voir crever sur scène, et dire : « J’y étais ». Cela dit, je suis quand même un nain à côté de Chet Baker.
Sur votre nouvel album, Crad c’est votre nouveau double, après Vivian Vog ?
Daniel Darc : Ça me faisait marrer. Peut-être pour emmerder les gens qui me cassaient toujours les couilles avec Gainsbourg. Enfin, évidemment, pendant quatre-cinq ans, je n’ai écouté que Gainsbourg. En plus, il est le seul en chanson française. Je n’écoute pas de chanson française.
Oui, je me doute que vous n’écoutez pas Bénabar…
Daniel Darc : Le mec je le connais un peu, il est gentil, je l’aime bien. Mais j’ai rien à foutre de ce qu’il fait. Ça n’a aucun intérêt. Ou plutôt je n’ai rien à voir avec lui artistiquement. De toute façon, en France, il n’y a rien qui m’intéresse. Et mes tatouages, mes fringues de rocker, tout ça vient aussi de ce que je n’ai toujours écouté que du rock. Je n’ai jamais écouté de chanson française, à part Trenet et Gainsbourg. On parle toujours de Gainsbourg car il n’y a rien autour. Aux États-Unis, y’a des centaines de groupes que l’on citerait, tous plus géniaux les uns que les autres : Alex Chilton, Robert Wyatt, Tim Hardin, Alex Harvey… En France, une fois que tu as dit Gainsbourg, qu’est-ce que tu veux mettre ?
Il y a quand même des gens très intéressants comme vous ou Bashung, justement assez inclassables, à la frontière du rock et de la chanson. Vous avez d’ailleurs tourné et enregistré (« LUV ») avec Bashung…
Daniel Darc : Comme Christophe n’écoute que du blues, Bashung n’écoutait que des trucs fifties.
Remet-moi Johnny Kid !
Daniel Darc : Ouais, je lui avais proposé de lui prêter un DVD avec des raretés de Gene Vincent. Il m’a dit : « Non, t’es fou ! Si je vois ça, je pleure et je me flingue… » On a une sensibilité rock tous, enfin tous… Nous trois et quelques autres : Dashiell Hedayat (devenu Jack-Alain Léger). Je pense que je suis vraiment, comme mon guitariste et frère Delaney Blue, je me considère comme un outlaw. Comme dans la country que j’adore (avec le free jazz). On est en dehors du circuit.
« La Taille de mon Âme » fait penser à votre « Feu Follet ». Drieu La Rochelle (qui fait son apparition au printemps dans la Pléiade), c’est un auteur qui vous touche ?
Daniel Darc : Bien sûr, et le film de Louis Malle est très réussi. J’aime encore plus Jacques Rigaut auquel Drieu a dédié son Adieu à Gonzague. Comme dans La Règle du jeu de Renoir où je suis fasciné par Roger Gilbert-Lecomte. En fait, ce qui me fascine le plus, et j’ai bien peur de m’inscrire là-dedans car, en étant prétentieux, on peut dire que leur vie est une œuvre. Sinon, ce qui me plaît le plus dans Drieu, c’est cette rédemption (par le suicide) qui me le rend plus sympathique (c’est pas difficile d’ailleurs) que Céline.
Céline a pourtant un univers noir, poétique, mélancolique, urbain qui devrait vous toucher…
Daniel Darc : Bien sûr. « C’est moi le printemps », je l’ai piqué dans Mort à crédit. « Je suis né en mai, c’est moi le printemps » est une phrase de Céline. Ça me touche énormément. Mais le personnage est tellement déplorable.
Mais il faut toujours dissocier l’œuvre de l’homme…
Daniel Darc : Oui, j’arrive à le faire pour l’antisémitisme de Dostoïevski, mais Céline ça me touche davantage parce que ma grand-mère est morte à Auschwitz. Le Céline que j’aime c’est surtout le Voyage et Mort à crédit. Mais c’est un personnage qui me fascine aussi. Dans Nijinski, je cite aussi une phrase de son meilleur ami, La Vigue (NDA : l’acteur Robert Le Vigan), qui dit dans Quai des Brumes : « Je peins malgré moi les choses qui sont derrière les choses. Un nageur, pour moi, c’est déjà un noyé. »
Quels sont justement les quelques livres que vous emporteriez avec vous comme unique bagage ?
Daniel Darc : La Beat Generation : Howl (NDA : il m’en récite aussitôt des vers entiers en anglais) et Kaddish de Ginsberg, Sur la route de Kerouac, Le Festin nu, Junky et Les Cités de la nuit écarlate de Burroughs
Un retour du mythique astre noir Taxi Girl, c’est envisageable un jour ?
Daniel Darc : Non, non. Ça n’aurait aucun intérêt. Je vois Mirwais de temps en temps. On s’apprécie toujours, je l’aime beaucoup, on a vécu vingt ans ensemble. Le meilleur de Taxi Girl, ou la continuité si tu préfères, c’est moi tout seul et Mirwais. J’espère que ça fait pas prétentieux de dire ça. Mirwais veut sortir bientôt un album plutôt rock.
Oui, pour vous c’est vrai, mais je doute que Juliette et les Indépendants ou les prods de Mirwais (Madonna & co) soient plus intéressants que Taxi Girl…
Daniel Darc : Tu sais, c’est aussi pour ça que Taxi Girl a splitté. À la fin de Taxi Girl, j’étais de plus en plus rock et lui se barrait dans des sphères qui ne m’intéressaient pas trop.
Et Laurent Sinclair ?
Daniel Darc : Laurent n’écoute que du reggae maintenant. Sa vie, c’est du dub d’ailleurs !
Vous avez raconté votre étonnant parcours à l’excellent critique et auteur Bertrand Dicale. Quand votre livre sort-il ?
Daniel Darc : Ça dépend un peu de moi qui suis un peu branleur (sans parler des concerts qui me prennent pas mal de temps en ce moment). Il est prévu normalement pour septembre. C’est un peu en trois couches : je raconte les trucs à Bertrand, il les écrit, et je réécris ensuite derrière.
Ah, c’est vraiment à quatre mains…
Daniel Darc : Oui, plutôt à trois même, parce que moi, contrairement à Bertrand, je n’écris pas sur ordinateur mais avec un stylo !
Et un roman du plus littéraire des musiciens français, c’est pour quand ?
Daniel Darc : C’est vraiment gentil mais je crois que je n’y arriverai pas. En revanche, j’ai déjà des nouvelles que j’espère sortir un jour. Le format du roman ne me convient pas. J’en avais écrit un mais je l’ai foutu en l’air. Je ne voudrais pas que les seules personnes qui achètent mon livre soient juste les fans de Daniel Darc. J’en étais à me faire un plan à la Emile Ajar/Romain Gary…. Mais je crois que je sortirai mes nouvelles sous mon vrai nom (NDA : Daniel Rozoum).
Dernier album : La Taille de mon âme (Jive/Sony)
En concert au Bikini le mercredi 29 février 2012.