Ce dimanche 29 janvier, Les Passions–Orchestre baroque de Montauban, dirigé par Jean-Marc Andrieu, qui viennent de fêter leur 25 ans, invitaient le public à «Une soirée chez Riquet». Ce récital a été créé en 2010, mais c’était une première dans le cadre superbe de l’Orangerie du Château de Rochemontès à Seilh, du plus pur style XVIII°, aux couleurs chaudes de briques et de poutres apparentes, archicomble grâce à l’entregent des organisatrices, Catherine Kauffmann Saint Martin, (la pétulante Folle de Musique de Radio Altitude FM), et Christine de Roaldes-d’Huy, (fille du maître de céans, descendant de Pierre-Paul Riquet !). Plus que jamais, il est louable de rendre hommage à celui qui aurait pu se contenter de ramasser les impôts, mais au contraire sacrifia sa vie et sa fortune pour offrir à l’Humanité un don inestimable, classé à juste titre au Patrimoine mondial de l’Unesco, même s’il n’est plus emprunté aujourd’hui que par des plaisanciers.
Sous un portrait en médaillon (que n’aurait pas renié Nicolas de Largillierre) du génial « inventeur », les chaises, le petit bureau et le fauteuil de style Louis XVI rustique semblaient venus tout droit de son château de Bonrepos. Nous avons assisté à la rencontre entre le grand homme et un musicien qui aurait pu être son contemporain, devant un public que les artistes ont imaginé composé de ses « bras », de ces ouvriers participant à la réalisation de son « grand œuvre ».
Le comédien Maurice Petit narrait agréablement les heurs et malheurs de la construction de ce Canal du Midi, de cet ouvrage d’art. Il lui manquait peut-être le grain de folie que l’on prête au grand homme, mais il ponctuait heureusement son récit de traits d’humour bienvenus : son « Il n’est pas dans nos usages de faire salon » ne manquait pas de sel, devant un aréopage de notabilités locales et régionales. Et il m’a semblé que Monsieur Riquet souriait dans son portrait. Par contre, l’évocation des arbres dont celui-ci a voulu border son œuvre, sonnait tristement à l’heure où l’on doit les abattre pour cause de maladie inoculée par notre monde moderne ; de même que celle de ses idées « sociales », des congés maladies par exemple, qui en faisait un précurseur en son temps, alors que certains de nos gouvernants s’acharnent à détruire l’héritage du Conseil National de la Résistance qui en fit une réalité avec la Sécurité Sociale.
Mais revenons à l’essentiel : Jean-Marc Andrieu, (flûtiste), Nirina Betoto, (violon), Marjolaine Cabon (viole de gambe) et Florent Marie (théorbe), nous ont régalés avec des œuvres de Marin Marais (dont on se remémore avec émotion « l’incarnation » par Jean-Pierre Marielle et Jordi Savall dans le film Tous les matins du monde d’Alain Corneau), François et Louis Couperin, et Robert De Visée, tout à fait de circonstance. Rondeau , Menuet, Passacaille, Sarabande etc., interprétées avec toujours autant de fougue, de talent…et de passion. Pour Jean-Marc Andrieu, « la musique ancienne est bien une musique de notre temps » : il lui est revenu fort justement de faire renaitre le magnifique Requiem du Maître de Chapelle de la Cathédrale Saint Etienne, Jean Gilles ; et bientôt le Te Deum*. Il n’a pas hésité non plus à mélanger voix baroques, voix populaires, voix d’hommes et de femmes, en compagnie des Sacqueboutiers, mais aussi de musiciens traditionnels, pour un Noël occitan qui a fait date. Son Orchestre illustre parfaitement la définition de la Musique par Geminiani « plaire à l’ouïe, exprimer les sentiments, frapper l’imagination, affecter l’esprit et communier avec les Passions ».
En quittant ce lieu hors du temps, j’avais encore dans la tête ces musiques qui n’ont pas pris une ride ; et je murmurais les vers de Charles Cros, dans sa Vision (quelque peu oubliée) du Grand Canal Royal des Deux Mers :
Je chante, ô ma Patrie, en des vers doux et lents
La ceinture d’azur attachée à tes flancs,
Le liquide chemin de Bordeaux à Narbonne
Qu’abreuvent tour à tour et l’Aude et la Garonne…
Maintenant les canaux forment comme un lacis,
Comme un tapis brodé recouvrant le pays.
Et le Pays du vin vermeil, des moissons blondes,
La France a dans son cœur le chemin des deux mondes,
Le liquide chemin, bleu, bordé d’arbres verts,
Que Riquet a rêvé et que chantent mes vers …
Longue vie aux Concerts de l’Orangerie de Rochemontès**, d’autres beaux dimanches à la campagne en perspective.
E.Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
photos : Jean-Jacques Ader
* Mercredi 2 mai, en la Cathédrale Saint Etienne de Toulouse, dans le cadre des Rencontres des Musique Anciennes d’Odyssud.
** Dimanche 11 mars, toujours à l’Orangerie de Rochemontès, la violoniste Clara Cernat et le pianiste Thierry Huillet, entraineront les spectateurs dans un duo passionné, « Rêveur, tzigane et diabolique » (Saint-Saëns, Ravel, Huillet etc.)
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Folle de Musique
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