« Troïka » n’est autre que le titre du nouvel album CD publié à l’initiative de la soprano Julia Kogan et interprété par elle. Il s’agit là de la réalisation d’un projet musical et poétique particulièrement ambitieux. Le chiffre 3 semble jouer, pour la belle cantatrice, un rôle stratégique. D’origine ukrainienne, Julia Kogan a grandi aux Etats-Unis pour finalement venir s’installer en France, dans un petit village des Pyrénées.
Ce parcours en trois étapes lui a peut-être dicté l’idée de ce stimulant projet. Nourrie aux trois cultures : russophone, anglophone et francophone, la soprano a conçu un programme en forme de triptyque consacré à la mise en musique par plusieurs compositeurs d’aujourd’hui de trois cycles poétiques de grands auteurs russes. Le premier, intitulé « there… », rassemble cinq poèmes de Joseph Brodsky (1940-1996) mis en musique en 2006 par le compositeur ouzbèke Eskender Bekmambetov (né en 1966).
Ces cinq mélodies illustrent en outre chaque poème dans sa version russe et dans sa traduction anglaise, effectuée par le poète lui-même, l’anglais alternant avec le russe au sein de la même pièce. La seconde série, « Sing Poetry », rassemble elle aussi les versions russes et anglaises de trois poèmes de Vladimir Nabokov (1899-1977). Mais ici, chaque version est mise en musique par un compositeur différent. Les versions originales ont été confiées à trois jeunes compositeurs russes : Lev Zhurbin (1978), Andrey Rubtsov (1982) et Ivan Barbotin (1972) et les versions anglaises à trois musiciens américains : Michael Schelle (1950), Jay Greenberg (1991) et James DeMars (1952). Enfin, le troisième volet, « Caprice étrange » ne comporte que les versions françaises de poèmes signés Alexandre Pouchkine, Mikhail Lermontov et Fiodor Tioutchev. C’est à la compositrice française Isabelle Aboulker (1938) qu’a été confiée la mise en musique de ce dernier cycle.
La première des mélodies, intitulée «Cinquième anniversaire», du cycle «there… » évoque irrésistiblement la veine sarcastique d’un Chostakovitch. S’il faut trouver d’autres racines à cette belle musique expressive et élaborée signée Bekmambetov, on ne peut ignorer Benjamin Britten. Du fait de la multiplicité des compositeurs, une grande diversité de styles nourrit le deuxième volet « Sing Poetry », sans pour autant en briser l’unité poétique. C’est enfin au Francis Poulenc sérieux que l’on pense en écoutant les mélodies exclusivement en français mises en musiques avec délicatesse par Isabelle Aboulker dans le cycle « Caprice étrange ». Nostalgie et tendresse imprègnent ces quatre pièces.
Toutes ces œuvres sont composées sur mesure pour Julia Kogan. Le fruité de sa voix, sa virtuosité sans faille et sans exhibitionnisme, la musicalité de son chant en font évidemment l’interprète idéale. Les trois langues qu’elle pratique avec aisance constituent ici un atout supplémentaire. Mais c’est la poésie intime que dégage tout ce beau programme qui en fait le charme irrésistible. Le St Petersburg Chamber Philharmonic, dirigé par le chef américain Jeffery Meyer, tisse un commentaire orchestral coloré et subtil. Voici une belle initiative dont il faut saluer l’originalité et la qualité de la réalisation.
Signalons que Julia Kogan sera à Toulouse, le 1er février 2012 pour la présentation de ce beau programme Troïka. Ce sera à 18 h à la librairie Ombres Blanches, 5 rue des Gestes. Un rendez-vous à noter sur nos agendas !
Serge Chauzy
Une chronique de Classic Toulouse
Entretien avec Julia Kogan sur Classic Toulouse