Théâtre du Capitole 30 mai 2011 • Cycle Orient-Occident
Du projet initial Orient-Occident de 2007 qui se proposait de tresser un dialogue des musiques instrumentales de l’ancienne Espagne chrétienne, juive et musulmane, de l’Italie médiévale mais aussi de Perse, du Maroc, d’Israël, de l’ancien empire ottoman des années 1200 à 1700, il n’est resté qu’une trame approfondie que Jordi Savall a renommé Le dialogue des âmes.
Des voix sont venues s’ajouter au projet et ce dialogue s’est concentré au pourtour méditerranéen pour mettre en évidence une donnée essentielle à ce grand humaniste qu’est Jordi Savall: nous avons des racines communes que nous avons oublié et que parfois la musique nous restitue. Ainsi la même mélodie se retrouve dans ce concert dans sa version grecque, turque, hébraïque avec la même fraîcheur, la même intensité. Sauf qu’aujourd’hui chacun ne veut croire qu’en sa version et accuse toute autre de copie, de plagiat, d’usurpation, ignorant la matrice commune.
Plus qu’un concert ce merveilleux pédagogue et immense concertiste, donne en fait une grande leçon de tolérance.
Le concert de l’ensemble Hespèrion XXI est un sortilège composé de Montserrat Figueras au chant et à la cithare, divine et Sibylle à la fois, du séfarade israélien Lior Elmaleh chantre plutôt que chanteur, du marocain Driis El Maloumi à l’oud, du grec Dimitri Psonis au santour et à la morisca qui parfois il fait sonner comme la guitare de Jimmy Hendricks, de Pedro Estevan à la percussion, sobre et attentif aux moindres mélismes, et bien sûr le maître Jordi Savall au rebab, à la lira, à la vielle. Lui le savant organisateur de tous ces mystères, il se met souvent en retrait laissant le champ libre à la belle volière de ses musiciens, mais calme, souverain il guide les chants, le parcours de la musique qui jamais ne s’égare ni ne se perd.
Ce soir-là, sans doute la fatigue d’une longue tournée, tout se passait dans l’intériorité, la magie de l’intime. Et par là même ce concert aura atteint des sommets de spiritualité, d’émotions. Au ras du silence montait une ferveur inouïe. Le temps était en suspens dans ces vagues nostalgiques d’un paradis perdu. L’âge d’or reprenait vie dans ces romances, ces makams, ces berceuses, ces invocations.
Émouvante, parfois bouleversante s’élevait la musique, plutôt le souffle de la musique. Nous étions ailleurs et non plus dans une salle de concert, même magnifiquement sonorisée. Nous n’écoutions plus un ensemble de six musiciens, mais nous assistions à une cérémonie d’envoûtement. Ce n’est pas la volonté de revivre l’ancienne Hespérie, mais d’échanger les diversités, les religions, les cultures pour abolir les tensions communautaires ou nationalistes. Le filtre de paix et d’amour s’appelle la musique, patrimoine commun à toutes les influences et dont certains persuadés de leur originalité de sang et de sol retrouvent des racines appartenant à tous. La musique creuse le ciel et rapproche les hommes.
Toutes ces sonorités, très orientales, sont communion, tentative de réconciliation d’une humanité en lambeaux. Encore fallait-il les assembler, les choisir, les faire renaître. Jordi Savall en est l’architecte.
« La vérité des hommes et des cultures ne réside pas plutôt dans ce dialogue des instruments, des accords, des cadences, des gestes et des souffles. » Amin Maalouf
Mais une bouffée de regrets nous aura quand même saisis, car il s’agissait du dernier concert du cycle Orient-Occident porté par le Salon de Musique, après ceux de Françoise Atlan et de Trilok Gurtu. Cette odyssée s’arrête, et cela laisse un grand vide pour la saison à venir.
Ce chant d’exil, ce chant de dialogue de ce soir, ce chant de sérénité, nous fait espérer qu’un jour l’âge d’or reviendra avec une nouvelle programmation du Salon de musique.
Saurons-nous patienter jusqu’à là ?
Gil Pressnitzer