Longtemps le festival Jazz in Marciac aura connu un paisible cours, porté par ses anges tutélaires, le doux Guy Lafitte et le magret de canard. Ce fut un long fleuve tranquille à partir de 1977, année officielle de sa fondation. En ce temps le jazz « qui dérange » n’avait pas sa place au fort soleil du Gers. Et puis vers les années 1990 la programmation se fit plus ouverte et dans ce lieu improbable de 1500 âmes, Jean-Louis Guillhaumon, futur maire de la commune et surtout enseignant en lettres, édifia à la fois un grand festival de jazz et une grande aventure aux nombreuses retombées économiques.
La réussite étonnante est bien sûr dans le projet culturel mais plus encore dans le développement touristique qui s’en est suivi par le développement de l’infrastructure touristique, en l’inscrivant dans la spécificité du territoire.
De cette réunion de copains, Bill Coleman ; Claude Luter, Lafitte, Boussaguet, on passa à l’univers entier du jazz dans toutes ses déclinaisons. L’acte refondateur est vraiment 1989 la venue de Sonny Rollins. En 1991 le coup de foudre réciproque entre Wynton Marsalis et le festival a également lieu.
Passer d’une aimable fête de village a un festival reconnu et célébré, aura nécessité bien des reniements intimes et pas mal de courage, car l’équipe en place, ignorait les courants du jazz depuis 1945. Ce passage du début des années 1990 à un grand festival oblige à tout revoir au niveau organisation et logistique. Marciac y parvient sans perdre son côté convivial et ses repas fins.
Une programmation exclusive s’ouvrant aux musiques du monde depuis peu, provoque une transhumance de tous les amoureux du jazz en août. Des concerts en hiver maintiennent la flamme des notes bleues.
Certes ce sont surtout des valeurs sûres qui jouent et rejouent à Marciac, ainsi il aura fallu attendre 2002 pour inviter enfin Ornette Coleman, Dave Douglas, 2003 pour Steve Coleman, et récemment pour John Zorn et Bobo Stenson. Pourtant la phrase célèbre d’Ornette Coleman reste toujours vraie : «L’âme du jazz, c’est l’amour de l’inouï.» et devrait inspirer tous les programmateurs.
Cette situation est aussi due à la raréfaction dans le monde du jazz de têtes d’affiches capable de remplir un chapiteau. Le festival de Marciac est avant tout une machine économique, touristique et musicale, et non pas un tremplin de découvertes, excepté dans le «off». Il fait une grande fête populaire du jazz et le fait remarquablement bien.
Né d’une vision et d’une volonté utopique, Jazz in Marciac va fêter allégrement son 34 ème année de festival. On est loin de l’usine de meubles locale, et des arènes du début. Un grand chapiteau de 5500 places et cette année une nouvelle salle de 500 places, l’Astrada, programment en plus de la programmation du « festival bis » (Avec Padovani, Léogé, Claudia Solal… pas moins !), plus de trente concerts. Et quels concerts à venir !
Citons simplement d’abord une nouveauté, Michel Portal dans un concert de musique classique autour de Brahms, et puis quelques noms car tout citer revient à faire défiler le bottin du jazz. Donc Chick Corea, John Scofield, John McLaughlin, Joshua Redman en duo avec Brad Mehldau, Dianne Reeves,, Al Jarreau, Gonzalo Rubalcaba, Chucho Valdès, Dave Douglas, Richard Galliano, Paolo Fresu, Roy Hargrove, Ahmad Jamal, Wynton Marsalis, Omar Sosa, Maceo Parker, Youn Sun Nah et encore bien d’autres.
Petit bouffée de nostalgie personnelle, j’avais programmé une bonne partie de ses géants à la Salle Nougaro jadis.
Cette programmation absolument somptueuse a peu d’affiches aussi alléchantes en Europe (Montreux, Jazz à Vienne, sans doute et encore).
Il est étonnant et émouvant de voir un rêve fou se réaliser ainsi et surtout durer pour devenir l’acte majeur des festivals de la Région. Jazz in Marciac mérite notre admiration, qui va aussi à son leader maximo.
Il mérite mais surtout notre visite. Le bonheur est dans le pré de Marciac !
Wynton Marsalis a sa statue dans le village, mais les quelques 200 000 personnes par festival auront édifié celle du jazz.
Gil Pressnitzer